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"Ca y est, c'est choisi : Ce sera Psychiatrie !"
Je commence ce blog pour raconter mes aventures hospitalières
pendant les quatre années de ce parcours d'interne
jusqu'au diplôme de médecin psychiatre...
























dimanche 15 mars 2015

Pauv' Type ou Sale Type ?

Bon...Y a eu "les événements de Charlie Hebdo" qui ont paralysé tout le monde au service... Et puis je suis parti 10 jours en vacances dans "les îles"... Et puis il fallait que je travaille à mes 2 mémoires à rendre en juin... Et puis quelques copains/copines sympas "Ben alors t'écris plus ??".... Et puis, et puis.....
Bref ! Je reprends donc mon blog avec une histoire que je ne pouvais pas garder pour moi, parce qu'elle m'a appris beaucoup : L'hospitalisation de Mr N.
Mr N. est arrivé dans mon service pendant l'après midi, en hospitalisation sous contrainte. Il avait été transféré des urgences pour une IMV (Intoxication Médicamenteuse Volontaire, traduisez par tentative de suicide aux médicaments...) parce qu'il venait de se faire quitter par sa compagne. Il avait pris quelques cochonneries sans grande gravité, du Temesta je crois. Bref, il était un peu somnolent, mais pendant l'entretien, c'était une autre paire de manches, comme vous allez le voir !
Je le reçois donc dans mon bureau. Comme d'habitude, je me présente, mon nom et ma qualité, je lui serre la pince, l'invite à s'asseoir, et lui demande comment il a atterri ici. Le ton est d'emblée véhément, et il m'envoie rapidement dans la figure LE grand problème de la psychiatrie dans les tentatives de suicide : "C'est mon problème si je veux me flinguer, vous n'avez pas à vous en mêler, et d'ailleurs je veux sortir immédiatement, vous n'avez pas le droit de me retenir". Eh bien si, on a le droit. Je ne sais pas si c'est très moral, mais la loi nous le permet, et la société nous y invite. Je ne me laisse pas démonter. "Mr N. vous avez le droit de vous suicider, malheureusement ou heureusement pour vous ça je ne le sais pas, vous vous êtes raté. A partir du moment où on vous trouve, la société a décidé que ça la regardait, et qu'elle avait le droit et le devoir de vous empêcher de recommencer aussitôt. Cette société confie au psychiatre le mandat de vous mettre à l'abri de vous même pendant quelques temps, afin de voir si quelque chose est possible pour changer la donne qui vous a mené à cet acte. Rassurez vous, si vous voulez vraiment vous suicider, rien ni personne ne pourra vous en empêcher à moyen terme, et vous pourrez le faire dès que vous serez sorti d'ici, dans quelques jours probablement. En attendant nous allons discuter un peu, si vous le voulez bien". Pfiuu, il se calme, se rassoit. Je vois que j'ai marqué un point. C'était un peu ampoulé dans le style, mais mon argumentaire se tenait à peu près. Nous discutons, donc. C'est compliqué. Le patient est dans une situation de grande précarité. Il a la petite cinquantaine. Issu d'une fratrie de 13 enfants, il n'a quasiment plus de rapports avec ses frères et sœurs en dehors de l'un d'entre eux. Il a perdu son père l'année dernière et selon ses dires "cela l'a beaucoup affecté". J'apprend aussi qu'il vient de se faire quitter par une femme, chez qui il vivait depuis 6 mois, et qu'avant cela il avait habité 3 ans dans sa voiture, vivant des petits boulots. Donc en fait, cette rupture signifie aussi qu'il va devoir quitter l'appartement de sa compagne et dormir à nouveau dans sa voiture...
Même prénom que mon père, même amour des chiens que moi. Un petit côté rebelle, anti-social que je partage aussi. Je commence à trouver ce type plutôt sympathique. En jargon médico-psychanalytique ça s'appelle faire un contre-transfert positif. Ça a l'air anodin mais mine de rien il faut faire gaffe, parce que ça peut modifier notre prise en charge, et parfois nous faire faire des conneries.
Bon, je lui explique le menu, il reste ici quelques jours, et dans 72 heures un autre psychiatre fera un nouveau certificat pour maintenir la contrainte ou la lever. Je lui dis que maintenant qu'il est là, on va essayer d'en faire quelques chose de cette hospitalisation imposée, et que je le reverrai tous les jours en entretien. On discute le traitement ensemble, comme 2 commerçants qui parlent tapis, bon, il est tendu, angoissé, un valium 10 sur la journée en 1/4, 1/4, 1/2, et un petit bidule pour dormir à 22h en si besoin. On va pas l'assommer hein, juste le détendre un peu parce qu'être dans une chambre de 8m2 sans l'avoir choisi, ça reste extrêmement violent à mon sens.
Les jours suivants on discute. Il se laisse un peu plus aller, raconte des trucs. Comme on me la fait pas non plus, et que je le trouve un peu 'séducteur' dans son attitude vis à vis de moi (comportement qui précède parfois la manipulation...), je commence à assembler les pièces du puzzle de sa biographie. Une pièce par ci, une pièce par là. Eh ben y a un gros trou. 7 ans, milieu trentaine. Je me garde bien de poser la question de but en blanc. Il revient sur sa relation avec sa compagne. Elle a perdu son mari l'année dernière. Il l'a connue il y a 6 mois "au bord d'un lac". Comment ? C'est flou. "j'avais lu dans le journal que son mari était décédé". Ah bon, curieux. Au fur et à mesure je commence à piger qu'il savait des choses sur elle avant de la rencontrer. Et puis aussi qu'il a cherché à la rencontrer, en sachant qu'elle fréquentait des amis près de ce lac. Ce comportement commence à me faire douter de la sympathie du bonhomme et de sa sincérité. J'en parle à mon PH (Praticien Hospitalier, un médecin du service qui me chapeaute) et lui, toujours très clairvoyant, à la fin de la présentation du cas me pose la bonne question : "Alors à ton avis, pauvre type, ou sale type ?". 
Et là tout s’enchaîne. Coup de fil d'un contrôleur judiciaire, oui Mr N. est bien chez nous. J'apprend qu'il a fait 7 ans de taule pour viol, qu'il a d'autres condamnations pour agression sexuelle, attentat à la pudeur. Il est inscrit au fichier des délinquants sexuels. Je le revois en entretien. Je lui dis juste, avec un air le plus neutre possible, que sa contrôleuse judiciaire a appelé. Il comprend que je sais tout. Il me lance un regard d'une noirceur qui me fait froid dans le dos. J'ai pendant quelques secondes l'impression que j'ai dérangé un grand fauve, et je ne sais pas du tout comment il va réagir. C'est ça la nature sauvage, imprévisible et cruelle. Il se recroqueville sur son fauteuil et ne me quitte plus des yeux. On se croirait en plein documentaire animalier sur la 3 le dimanche aprem. Le tigre du Bengale. J'ai un autre homme en face de moi, je ne le reconnais plus. Il se tait. il ne veut plus parler, malgré mes encouragements à la faire. Dans la journée, un psychiatre du service lève l'hospitalisation sous contrainte, Mr N. ne présentant plus de symptomatologie d'une crise suicidaire. Et il sort dans la foulée. 
Quelques jours plus tard, les gendarmes m'apprennent que l'ex-compagne de Mr N. est en réanimation avec "du sang dans le cerveau (un hématome intra cérébral, gravissime) et des blessures très importantes au visage". On ne sait pas si elle va s'en sortir. Mr N. a été arrêté et est au centre de l'enquête. Probablement 'sale type' donc. Et moi qui le trouvais si sympathique au départ ! Je me suis fait avoir comme un bleu. Je crois bien que je suis tombé sur mon premier "pervers", comme disent les psychanalystes...


samedi 14 mars 2015

Du fauteuil au lit...

En ce moment, on est en plein débat sur la fin de vie à l'assemblée nationale. Et, justement, en parallèle, j'ai une de mes patientes qui est dans ce cas là dans mon service. Ça fait bien gamberger tout ça, et permet de voir combien chaque situation est unique, et combien les députés risquent de se casser les dents pour essayer de légiférer la dessus.

Mme B. a 80 ans. C'est la première patiente qu'on m'a confiée quand je suis arrivé il y a quelques mois. C'est une 'chronique'. On ne sait plus très bien pourquoi elle est là, cela fait environ un an. Probablement que, comme d'habitude, la maison de retraite n'arrivait plus à gérer des troubles du comportement à type d'agressivité, vu que Mme B. a eu un diagnostic de démence il  y a quelques années. Quand j'ai repris le dossier, j'ai fait mon maximum. La patiente déclinait, on m'expliquait qu'elle ne marchait plus depuis quelques semaines, qu'elle avait mal quand on la mobilisait. Bon, on fait les choses dans l'ordre, déjà on réajuste le traitement cardio parce que des jambes comme des poteaux, remplies de flotte, ça n'aide pas à marcher : Majoration du lasilix (ça fait pisser...), prescription de bas de contention, surélévation des jambes pour dormir. Une semaine plus tard les jambes ont dégonflé. Prescription de kiné. La 1ère séance se passe, et la ça coince : Mme B. a très mal. J'essaye de gérer, je fais la tournée des anti-douleurs, et je m'en sors pas, elle a toujours aussi mal. Impossible de faire de la rééducation à la marche si la patiente a si mal, elle ne sera pas coopérante. Au final je demande une consultation au spécialiste de la douleur, qui me fait un protocole archi complexe qui ne marche pas non plus, puis en consultation en neurologie où le médecin me donne finalement la solution : la plainte douloureuse a une grosse part liée à sa démence, et ça, aucun antalgique n'en viendra à bout... Je commence à me résigner petit à petit, Mme B. ne remarchera plus, et on sait bien comment tout ça va finir. Quelques mois passent, je la vois deux fois par semaine pour des entretiens centrés sur ses douleurs imaginaires, ou la qualité de son sommeil. Quand l'infirmière la sort à reculons de mon bureau, en tirant le fauteuil roulant, c'est toujours le même rituel "Je vous aime Docteur !" - "Mais je vous aime aussi Mme B. !". Tout le monde rigole, même à la trentième fois. Ça fait du bien.
Et puis arrive ce qu'on redoute, elle décline d'un coup, se rétracte dans son lit, ne veut plus qu'on la mette au fauteuil parce que "ça fait mal". Un beau jour on me signale qu'elle fait une fièvre, je l'examine, je l'ausculte, houla il y a du monde dans les poumons. Antibiotiques. Ça ne marche pas. Prélèvement, antibiogramme. Re-antibiotiques, plus forts ceux la. Ça ne marche pas beaucoup mieux. Mme B. prend un teint cireux, grisâtre. Je fais un énième bilan sanguin : la fonction rénale a pris un sacré coup. l'organisme de Mme B. déjà très affaibli n'a pas supporté les antibiotiques. Je l'envoie aux urgences, c'est confirmé : les reins sont fusillés. Discussion éthique, on dialyse, on dialyse pas. Bon, 80 ans, une démence, rétractée dans son lit avec des escarres depuis des semaines. Le fils joint au téléphone n'a pas d'avis, ne veut pas qu'on s'acharne, ni qu'on l'ennuie avec tout ça d'ailleurs. Allez savoir ce qu'il s'est passé dans cette famille encore...La décision tombe : Pas d'acharnement thérapeutique, on ne dialyse pas. 
Mme B. revient au service pour y mourir. Première fois que je vais avoir à "gérer" ça. A ce moment précis je comprend quelques chose d'essentiel de mon métier : Je peux m'occuper de l'agonie de Mme B. parce que c'est ma patiente depuis un moment, que je la connais bien. Je ne voudrais ni ne pourrais le faire pour quelqu'un d'autre. Et c'est une continuation de ma prise en charge, je ne me défile pas au moment où ça se termine, je reste son médecin jusqu'au bout.
Je file sur internet lire les dernières recommandations HAS (Haute Autorité de Santé) concernant la prise en charge palliative. Arrêt de tous les traitements non vitaux. Morphine. Arrêt de l'alimentation et de l'hydratation par voie veineuse. Mme B. est revenue chez nous déjà presque inconsciente, comme ses reins ne fonctionnent plus depuis un moment, son sang est comme empoisonné, il n'est plus filtré ni nettoyé. Après, le "jeu" pour tout le monde, c'est que ça ne dure pas trop longtemps, et surtout lui offrir la bonne mort et pas la mauvaise. La hantise du médecin c'est l'OAP, l’œdème aigu du poumon. Le patient est bien hydraté avec ses perfusions, mais le cœur fatigue, il n'arrive plus à pomper suffisamment, il y a une fuite de liquide en amont, et tout part dans le poumon, qui se remplit de flotte. Le patient meurt noyé, en étouffant pendant plusieurs heures, parfois des jours...Ça c'est la mauvaise mort, celle qui arrive fréquemment si on ne fait rien. Après il y a la bonne mort, celle qu'on souhaite pour notre patiente. On réduit voire supprime les apports en eau. Ça semble barbare dit comme ça, mais les effets sont très bénéfiques en termes de confort : le risque d'OAP diminue drastiquement, et cela diminue aussi les sécrétions dans les poumons... Le patient respire librement. Comme les reins ne fonctionnent plus, il y a une accumulation de potassium dans l'organisme, ce qui a pour effet de diminuer l'excitabilité des cellules cardiaques. Au final, le cœur finit par avoir quelques hoquets, puis s'arrête. Net, propre, sans bavure, et indolore. Comparé aux 8 heures d'agonie en suffoquant, on a vite choisi ! Si les choses tournent mal, la loi autorise à endormir profondément ma patiente pour une "sédation en phase terminale" avec un produit utilisé en anesthésie générale qu'on appelle le Midazolam. J'ai relu comment induire et maintenir cette sédation, et nous en avons discuté avec l’équipe infirmière et les autres médecins du service. Avec les prochaines lois, je crois que les patients eux-même pourront demander cette sédation, et ne pas attendre que le médecin le décide.
Au même moment sort un papier dans Le Monde où des responsables religieux, pour une fois 'unis', se mêlent de ces problématiques et tentent une ingérence dans le débat sur la fin de vie. Je lis, je suis furieux. Un peu chauffé à blanc par la prise en charge de Mme B. je ne peux résister à réagir, je colle l'article du Monde sur mon mur Facebook et propose un amendement pour que "ces gens là" (et rien qu'eux !), ne puissent bénéficier de ces nouvelles mesures de confort puisque c'est leur souhait !!
A l'heure ou j'écris ces lignes, Mme B. "dort" paisiblement avec sa morphine. On vient la voir régulièrement pour lui humidifier la bouche avec un aérosol. On lui parle même si elle ne réagit plus. On ausculte ses poumons matin et soir à la recherche de bruits crépitants, premier signe de l'OAP qu'on veut éviter. Elle fait des pauses respiratoires de plus en plus longues et fréquentes.
En l'état actuel des connaissances, on pense qu'elle ne souffre pas, qu'elle est apaisée.

Et on attend que son cœur s'arrête.


samedi 3 janvier 2015

Une garde en live. Partie 1

Aujourd'hui j'essaye un truc. Je vous raconte ma garde en live. Si ça se trouve ça va être très chiant, mais on va bien voir...

9h01 : je passe chez ma co-interne récupérer le téléphone de garde, et je viens m'installer dans la chambre de garde.

9h53 : Coup de fil du coordinateur de l'hôpital, pour savoir si j'accepte un patient alcoolique qui a une demande d'hospitalisation libre pour débuter un sevrage. C'est une grande nouveauté depuis quelques semaines, il y a un filtre à l'entrée, nous devons nous prononcer sur l'autorisation d'hospitaliser, c'est une sacré responsabilité ! J'accepte, je le verrai pour son admission quand il arrivera au service dont il dépend géographiquement.

10h05 : Coup de fil de l'unité de soins intensifs, un patient qui avait un abcès du pied et qui est arrivé au bout de sa semaine d'antibios a une récidive locale. Les pieds pourris c'était ma spécialité aux urgences quand j'étais externe, je suis un pro. Comme j'ai souvent le nez bouché à cause de mes rhinites allergiques, je me dévouais systématiquement. Bref, je fonce voir à quoi ça ressemble. Aouh. Le pied a triplé de volume. On voit une collection de pus en transparence, sur la face dorsale ET la face plantaire. Y a une odeur de barback alors qu'il n'y a pas de plaie ouverte. Aucun antibio per os ne viendra à bout de ce truc. C'est chirurgical. Un des infirmiers me dit qu'une de ses collègues infirmière hygiéniste peut passer lundi. Je rigole. Nan, là c'est urgent, et c'est un chirurgien qui doit voir le patient. Faut drainer tout ça, examiner les gaines des tendons pour voir si c'est pas touché (sinon, destruction, rétraction, perte de mobilité permanente du pied) faire une radio pour éliminer une ostéite, probablement faire un prélèvement profond et changer d'antibio. Courrier au médecin des urgences, copie du traitement, hop, c'est dans les tuyaux. 

11h30, Le pavillon qui devait recevoir le patient alcoolique appelle : Il est arrivé. Bonjour monsieur, qu'est ce qui vous amène ? Je lis le bilan bio prescrit aux urgences. Thrombopénie à 47K, taux de prothrombine à 50%, cirrhose du foie, hépatite C chronique, arythmies cardiaques, bloc de branche gauche, FEVG 40%, splénectomie suite à une plaie par arme blanche, aïe, aïe, aïe. Où est la date de naissance ? 42 ans. Outch, je lui donnais 55 à le voir comme ça. Ah si, le rein fonctionne bien. C'est déjà ça ! Intérieurement je pense "Allez, si ça continue comme ça dans 2 ans il est mort celui là". Puis je fais mon boulot, petit mélange de trucs rassurants, je vais vous prescrire des médocs pour en chier le moins possible, mais ça va durer au moins 15 jours. Je lui fais parler un peu de sa vie, comment ça a basculé dans le caniveau comme ça, lentement mais sûrement. Je le renarcissise un peu "Vous avez du courage, c'est bien !" Je le laisse pas tout seul dans son slip "Ici tout le monde est là pour vous aider à passer ce cap. Vous avez un souci ? Vous en parlez". Etc, etc. J'en ai déjà vu tellement des alcooliques en 2 mois, que je suis dans ce que va probablement être ma pratique avec les toxicomanes : Un mélange de compassion désabusée, en gardant quand même un professionnalisme intact. A chaque fois on se doit de faire son maximum, et on fait un peu semblant d'y croire, au cas où....Mais on garde la bonne distance parce qu'on est si souvent déçu que ça pourrait vite devenir TRES agaçant ! Bon courage Monsieur, vu ce qui vous attend vous allez en avoir besoin. 

12h10, je voulais aller manger, mais non, coup de fil du pavillon des personnes âgées : Un monsieur, 4 ans dans le coma depuis un arrêt cardiaque récupéré (c'est quand le coeur a redémarré... mais pas le cerveau chez lui, hélas) s'est "désondé", et l'infirmière n'arrive plus à remettre la sonde urinaire. Erf, j'ai mis UNE sonde urinaire y a 3 ans aux urgences... Je me souviens encore un peu, bon, on va voir. 20 mn de préparation et je suis (à peu près) stérile, je pète un gant (j'ai de trop grandes mains, y a jamais ma taille...). Pas grave, du moment que j'ai la main droite stérile, de toute façon la gauche c'est pour tenir le zizi, qui pour le coup est un nid à bactéries. Je met le gel au bout de la sonde, j'en mets bien sur une bonne longueur. Je rentre le tuyau, ça passe, ça passe, ça passe... Ça bute. Bon. là on est au niveau de la prostate à peu près, juste avant d'arriver à la vessie. J'essaie encore, je change l'inclinaison de la verge. Passe pas. Ben les filles, je suis pas plus doué que vous. Déception. Allez, une dernière fois. Et là je fais ce que les filles détestent faire, et qui ne pose pas trop de souci aux mecs (pardon pour cette remarque sexiste) : Je force, en vrillant le tube en plus. Et là, magie, ça cède, et un beau liquide jaune d'or envahit le tuyau. J'adore quand un plan se déroule sans accroc (cf l'Agence Tous Risques). Ouais bon, en fait je me suis plutôt senti un peu con avec mon gant stérile qui lâche dans un beau bruit de latex. Pas grave, mission accomplie quand même !

13h10, Après mon couscous en barquette réchauffé au micro-ondes, je rentrais vers la chambre de garde, et c'est le pavillon où je travaille d'habitude qui appelle."Viens vite, madame T.. tu sais, que tu as admise mercredi, elle respire très mal, et elle désature à 80% (en gros, quand les poumons marchent plus bien pour une raison lambda, la saturation en oxygène du sang passe sous 90%, et là ça veut dire que les organes et les cellules du corps sont en souffrance, ça commence à mourir tranquillement, et plus on attend plus y a du dégât). Cette patiente est ce que l'on appelle une 'psychotique vieillie'. De base elle avait un retard mental modéré, puis elle a été diagnostiquée schizophrène. Et des décennies de maladie, couplées à des décennies de médicaments antipsychotiques ont fait d'elle ce qu'elle est maintenant. Elle ne communique pas par la parole (plutôt des sons). Elle a des tics. On ne sait plus trop si ses troubles du comportement sont à rapporter à sa psychose ou bien si en plus de tout ça elle a une démence. Ah, dernière chose et non des moindres : Elle absorbe tout ce qu'elle trouve (doit y avoir un mot en psychiatrie pour ce symptôme mais je le connais pas). J'arrive, patiente assise, 5 infirmiers autour, grosse dyspnée, bruyante, avec tirage. Je vais pour ausculter : la patiente est en nage. J'entends au stétho un encombrement majeur des poumons, bilatéral, avec des sibilants qui signent un important bronchospasme. Saturation ? 70%. Wow. commandez l'ambulance en urgence et on réfléchira après. Oxygène. 4 litres et on avise. Montez à 6. Saturation ? 75%. Coeur ? 55 battements par minute. Rah là là, elle arrive cette ambulance ? Bon, à tous les coups elle a bouffé quelque chose, et fait une fausse route. Une pneumopathie d'inhalation ça s'appelle. Allez madame T..., on tousse, on tousse. Je tape dans le dos comme un sagouin en vociférant. Un  infirmier me regarde un peu hagard. Et là, bam, dans un effort de vomissement, et un haricot plus tard (ce sont les plateaux en inox en forme de haricot) rempli de bave et de fluides divers, on reprend la saturation : 88% ! Pfiiiuu. L'ambulance arrive. Je rédige vite fait mon courrier de transmission à l'urgentiste, j'imprime une copie du traitement. Et voilà la patiente partie. Où est le haricot ? Ici docteur. Je mets une paire de gants et je farfouille... Nom de Dieu, un vieux mégot tout mâché ! Madame T... s'est tapé le cendrier ! Je rappelle aux urgences : "Bon, vous allez trouver des mégots dans les bronches..."

14h30, Mon pied pourri revient des urgences, et comme toujours avec les patients étiquetés 'psy', ça peut attendre plus tard. C'est la médecine à 3 vitesses, il y a d'abord les riches et les puissants, puis les pauvres et les anonymes, et en tout dernier, les 'psy'. Je lis le rapport de l'interne de chirurgie de garde : L'abcès est 'en cours de collection' (je traduis, pas mûr, donc pas chirurgical) et sera prêt à être drainé....lundi matin ! En attendant, bains de pied, et remise en route du traitement avec l'antibiotique qui n'avait pas marché pendant une semaine. Pas de radio du pied, pas de prélèvement bactério. Que dalle. On me le rend avec ses 38,5 de fièvre sous 4g de paracétamol par jour. Eh ben en avant. Je ris si l'abcès "pas mûr" se rompt dans les tissus mous du pied, entraînant septicémie, choc septique, ou encore si ça s'étend en érysipèle de jambe. Enfin non, je ris pas, pauvre patient. 25 ans, déjà atteint de retard mental à cause d'une maladie génétique, si en plus il boîte à vie...

15h13, Appel en UMD, on arrive à quasiment 10 dans la chambre du patient (la sécurité, les infirmiers) comme d'hab. Il a tout pété le mobilier, pourtant vissé au mur avec des vis impressionnantes, comme d'hab. 8 ans qu'il est là, il a passé les 3/4 en isolement. Ben, discours moralisateur, et remise en isolement, comme d'hab. Je regarde le traitement avant de partir. 15 lignes de molécules. Des neuroleptiques les plus sédatifs dans un joli cocktail genre muesli. Ça endormirait un taureau de 500 kilos, lui il casse tout dans une grande ruade flamboyante.

.... To be continued ...


lundi 29 décembre 2014

Un Mort pour Noël

Ce lundi, c'est un peu particulier. Nous sommes entre Noël et nouvel an, le service fonctionne au ralenti. Beaucoup de patients sont rentrés dans leurs familles pour les fêtes, et beaucoup de médecins font le pont. Je dois récupérer pendant quelques jours les patients de ma collègue, et ceux du Dr Bidule. J'arrive le matin en salle des infirmières."On t'a dit ??" Euh, on m'a dit quoi ? "Mr Machin est décédé". J'ai les jambes coupées, j'ai cette impression de chaud-froid que je déteste. Je m'assieds. C'est arrivé comment ?

Mr machin était un de mes patients. Il m'avait donné du fil à retordre. La trentaine, père d'un petit garçon de 4 ans. Il était arrivé avec une lettre de son médecin traitant : Il voulait tenter une énième fois de se sevrer de sa consommation d'alcool. Il avait une maladie articulaire rare, la synovite villonodulaire, qui avait flingué sa hanche si bien qu'il boitait et ne pouvait plus courir. Dans cet état, il ne retrouvait pas de travail car ses compétences étaient manuelles, il n'avait pas de diplômes. Il aurait fallu l'opérer pour lui mettre une prothèse de hanche, mais voilà, à cause de la picole et de ses effets sur son organisme, l'anesthésiste avait refusé de l'endormir. Trop risqué. Et pas d'anesthésie, pas d'opération. L'enjeu de ce sevrage était important du coup, si ça marchait au moins un temps, on pourrait peut être enfin l'opérer. Mr Machin était par ailleurs ancien toxicomane à l'héroïne, à la cocaïne, au cannabis, à beaucoup de choses en fait. Avec les toxicos, je me méfie toujours des "Je vous assure doc, c'est la dernière fois" on est souvent très déçu. Mais là je me suis investi dans la mise en place de cette opération de la hanche, ai rédigé de beaux courriers au médecin traitant, au chirurgien, ai passé quelques coups de fil. Au début un peu sans trop y croire vu le passé du loustic, mais au fil des entretiens il me parlait de son fils, de son avenir, de la nécessité de retrouver un emploi. Je le trouvais crédible, et assez touchant. Il avait une acné impressionnante sur toute la face, je lui ai mis un peu de doxycycline 'pour voir' et tenter de diminuer l'inflammation. Pour le traitement de ses symptômes de sevrage, ça a été assez épique. J'ai du empiler les traitements les uns sur les autres, avec des doses de plus en plus élevées : il tremblait toujours des mains, battait la mesure avec sa jambe, et ne fermait toujours pas l'oeil de la nuit. Au bout d'un moment j'ai commencé a flairer le truc... J'insiste avec mes questions pendant un entretien et il finit par lâcher le morceau : Il n'est pas du tout sevré aux opiacés ni à la coke, il en consommait encore abondamment la veille de son arrivée chez nous. Ah ben voilà pourquoi mes traitements sont insuffisants ! Je prescris du lourd, et lui propose aussi un traitement de substitution par Subutex, qu'il refuse. "Je veux plus de cette merde, ça entretient la dépendance" Certes, mais ça permettrait aussi de dormir la nuit pour la 1ère fois depuis une semaine ! Bon on va faire sans alors. Les choses se passent de mieux en mieux, les jours s'enchaînent, puis Mr Machin me demande le 23 décembre de pouvoir rentrer dans sa famille pour voir son fils. Il n'est plus en couple avec la maman mais ils vivent sous le même toit (Je sais ça parait dingue, mais quand on a pas de sous... Je vous assure que c'est assez fréquent !) Je le vois le jour de son départ, il me remercie pour le traitement de son acné, effectivement, ça s'était bien amélioré. La suite, c'est la maman de Mr Machin qui me l'apprendra au téléphone ce lundi matin. L'ex compagne lui a joué un sale tour et a filé à l'anglaise en emportant le fiston. Mr Machin s'est retrouvé tout seul le soir de Noël, cerné par ses vieux démons. Il aurait pris tous ses médicaments en même temps (ceux que j'ai moi-même prescrits !) plus quelques trucs beaucoup moins légaux. On l'a retrouvé dans la nuit du 25 au 26, assis sur une chaise, la gueule encastrée sur un coin de table. Il était tout bleu (en médecine on dit cyanosé). C’était pas joli du tout alors la mère n'a même pas eu le droit de le revoir. Et me voilà maintenant à l'heure du service après vente : Je tente de consoler la maman au téléphone, je lui parle de son fils, et du fait que malgré la dureté du sevrage, il a tenu le coup (il pouvait arrêter à tout moment, et partir). Je lui parle de son petit fils, qui a perdu son père le jour de Noël, et sur qui, en sa qualité de grand mère, elle devra garder un oeil. Je raccroche. Je croise mon boss dans les couloirs "Alors, t'as ton premier mort ? Ça te fait quoi ? Tu connais l'histoire non ? On demande au sage : Qui a sauvé 100 vies ? Il répond, c'est le médecin. Et qui en a tué 100 autres ? Il répond, c'est encore le médecin !"

Ouais, si c'est censé me déculpabiliser, c'est raté. Mais j'accepte la punition. Celui là, c'est foiré, je ne l'ai pas protégé de lui-même. Un coup comme ça, au fond, c'est un super cadeau pour soigner la toute-puissance et l'ego du toubib en herbe que je suis. Ça rend très humble. Adieu Mr Machin, je penserai longtemps à vous...

samedi 20 décembre 2014

La Valse du Certificat

D'abord un petit cours. En psychiatrie, on a un énorme pouvoir : Celui de priver les gens de leur liberté. Vous êtes déclaré fou, vous rentrez dans la catégorie des gens qui 'ne peuvent de par leur état consentir aux soins'. Et on va donc vous hospitaliser contre votre gré, en soins contraints. Comme ce pouvoir est énorme, et digne d'un régime totalitaire, on l'a fractionné : Il faut plusieurs signatures, au moins 2 médecins différents, un tiers qui connait le patient, parfois le préfet ou son représentant, enfin voilà, il faut que plusieurs personnes soient d'accord. Et après, la situation est réévaluée au cours d'entretiens patient-médecin, à 24h, à 72h, etc...Et à chaque fois par des médecins différents, pour éviter que si vous avez une gueule qui ne revient pas à un des toubibs, il ne puisse vous garder enfermé ad vitam juste par sa seule volonté. Sur le papier comme ça c'est pas mal, mais parfois ça peut donner des drôles de trucs, comme cette semaine dans mon service...

Un jeune homme, 30 ans, la même gueule qu'un pote à moi, arrivé de nuit en urgence dans le service. Je le vois pour la 1ère fois, il est en isolement. L'infirmier me dit qu'hier soir "c'était coton" le patient était agité, Il a reçu 2 loxapac en injection (si si vous vous souvenez, la 'matraque' du psychiatre, un neuroleptique très sédatif). Entretien de 10 mn, il sourit, s'étire dans le lit. Il a l'air calme. Je lève l'isolement, je le reverrai cet après-midi. Je relis le dossier, c'est assez confus, je retrouve un antécédent de bouffée délirante aigüe il y a 12 ans sur fond de cannabis, qui avait nécessité 12 jours d'hospitalisation, rien depuis. J'ai la femme, puis la maman au téléphone. Les troubles du comportement remontent au weekend dernier. Je finis par arracher à l'épouse qu'un 'vieux copain' du temps jadis est venu les voir avec ...un joint ! On rajoute une fièvre à 41° les jours suivants et on a un joli cocktail pour décompenser à nouveau. Puis entretien en bonne et due forme, au bureau, le patient a quitté son pyjama."Ah je vois que vous avez repris forme humaine" (parfois je dis de ces trucs...un jour je vais en faire décompenser un en live :). Ca se passe bien. J'inspecte un peu la personnalité, je cherche quelques repères biographiques marquants, je teste 2 ou 3 situations, je le speed un peu... 20mn, 25mn, Et PAN, il reprend une partie de ma phrase, mais en la coupant au milieu de mots (exemple : Vous avez bien dormi ? "Vébiendor ? je ne comprends pas docteur !"). Waw, ça je connais pas. Et puis doucement il commence à se marrer à des moments saugrenus. Je lui dis eh ben vous êtes de bonne humeur..."Non, pourquoi vous dites ça ?". Bon. Tout ça fait quand même assez tableau dissociatif, c'est discret, le type est intelligent, il contient le processus morbide, mais ça commence un peu à déborder et faudrait éviter que ça lui coule par les oreilles. Je vais voir le patron. Je raconte."Mmh, ça fait aussi un peu neurologique ça". La neurologie c'est le truc auquel il faut toujours penser, ça peut mimer la psychiatrie, mais c'est souvent beaucoup plus urgent (cancer, AVC, etc !). J'appelle un copain neurologue à la rescousse, qui me file la marche à suivre : Tests neuro, scanner du crâne. Tout est négatif. C'est bien de la psychiatrie. Je lance le traitement. Je choisis un antipsychotique de 2ème génération qui est très peu sédatif, fait très rarement prendre du poids, parce qu'à 30 ans, on tolère encore plus mal ces effets secondaires qu'à 60, et ça finit avec les boites de médocs à la poubelle.

Le lendemain, surpriiiiiise, les infirmières m'accueillent très embêtées. Je finis par comprendre que quelque chose ne va pas, et l'une d'elles crache le morceau : Un des toubibs du service, le Dr Truc, a fait un certificat de levée de l'hospitalisation sous contrainte de mon patient. Aïe. Moi je ne suis qu'interne, je ne peux pas encore faire ces certificats. Je lis le rapport, que je trouve un peu léger "simple conjugopathie ne nécessitant pas..." etc. Le Dr Truc n'a pas vu la même chose que moi. Les infirmières me confirment ce que je pensais déjà "Oh tu sais le Dr Truc, pendant ses entretiens il parle de lui. Et ça dure rarement plus de 10 minutes". C'est vrai que chez ce patient intelligent, c'est discret, il faut un entretien très long, et le speeder un peu pour voir que ça part en sucette. Nouvel entretien avec l'épouse, venue lui rendre visite, qui me dit qu'elle ne reconnait pas son mari, qui est cassant, lui lance des regards noirs, alors que d'habitude c'est une crème. Elle me confie aussi que le patient lui aurait dit 'je sais ce que je dois dire et ne pas dire pour sortir d'ici rapidement'. Aïe, je commence à le sentir évoluer sur un versant plutôt paranoïaque. Selon les dispositions légales, je remets au patient son certificat de levée de l'hospitalisation sous contrainte, tout en lui disant que je lui conseille fortement de rester chez nous encore quelques jours en hospitalisation libre... Et là, il prend le certificat, se marre, envoie une vacherie bien sentie à sa femme, et sort de la pièce, disant qu'il va chercher sa valise. L'épouse fond en larmes, "il faut que je protège mes enfants." Bon, coup de fil au boss dans l'autre pavillon."Demmerde toi, refais une hospit' sous contrainte en allant voir le Dr Bidule. Si jamais tu as un souci, je suis pas loin". Pfiu. Dr Bidule ? Il faudrait aller contre l'avis du Dr Truc, votre collègue de tous les jours depuis 25 ans, et remettre sous contrainte mon patient. Nan, ça va pas le faire du tout... Je réfléchis. Dr Bidule ? Le Dr Truc est absent cet après midi, il a vu hier mon patient qui n'allait pas si mal que ça, a fait un certificat de levée, et aujourd'hui mon patient va beaucoup moins bien. Pourriez vous le voir en entretien pour vous faire une idée ? Oui bien sûr. Entretien à 4, le Dr Bidule & moi, le patient & son épouse. 15mn, tout va bien. 20mn. 30 mn. Je vois le patient qui prend de plus en plus de temps à répondre aux questions, qui recule sur sa chaise, qui sourit de façon très étrange. Et finalement il se lève d'un bond. "Je t'aime, je veux divorcer, tu es une salope. Si tu m'aimes, dis mon nom et mon prénom. Dis les en entier. Tu vois tu peux pas. Tu m'aimes pas." On y est. La femme : "Mais qu'est ce que tu me dis, qu'est ce qu'il t'arrive ?" Il la toise du regard, la regarde s'effondrer en larmes. Je fais sortir l'épouse et m'excuse de lui avoir imposé ça mais c'était nécessaire pour voir son mari décompenser et le replacer sous contrainte. Je rentre dans la pièce à nouveau et interpelle le mari "Ça vous fait quoi de voir votre femme en pleurs ?". Il répond froidement "rien". Le Dr Bidule rédige un certificat de remise en hospitalisation sous contrainte. Je remets ce nouveau certificat au patient, en sachant que je suis grillé pour la prise en charge, j'ai perdu toute confiance de sa part : Je lui ai remis à 1 heure d'intervalle 1 certificat de levée, 1 autre de contrainte. Il me regarde haineusement. Je rattrape le coup avec la famille. "Vous savez, nous oscillons en psychiatrie entre liberté de l'individu et nécessité impérieuse de soins. La frontière est floue, les modalités souvent complexes. Votre mari/fils allait mal avant hier, bien hier, à nouveau mal aujourd'hui. Un médecin hier a pensé qu"il pouvait sortir, ce n'est finalement pas le cas aujourd'hui." 

Je rappelle le boss et je ne mâche pas mes mots "J'ai changé la prise en charge foireuse en simple incident pour la famille, mais je me suis grillé auprès du patient. Ça m'a pris toute l'aprem. Si c'est une fois par mois ça ira, si c'est une fois par semaine, l'attitude du Dr Truc va me poser problème." Je me dis aïe calme toi, t'es furax, mais t'es qu'interne. Heureusement pour moi le boss me lâche un "Tu comprends pourquoi je t'ai mis là-bas maintenant. Je suis toujours derrière en cas de problème." Ok, capito, pigé. Le boss m'a mis dans ce pavillon parce qu'il trouve que c'est le bronx, et il veut un interne frais qui fait les choses comme il faut. Je comprends pourquoi il m'avait invité la semaine dernière à la réunion de pôle, qui était un sacré règlement de comptes à OK Corral ! Il vient aussi de me dire qu'il me soutenait en cas de pépin. Moui, ça reste à voir le jour où ça va vraiment barder. Va falloir ménager la chèvre et le chou. Bienvenue à l'hôpital !

Delirium Tremens

"Demain je ne suis pas là de toute la journée. Celui-là tu me le surveilles, j'le sens pas." C'est mon boss qui me parle. Je consulte le dossier, bon, encore un alcoolique. Le boss a dit, je ferai : Je note ça sur ma 'liste de courses'. 

Le lendemain donc, c'est une grosse journée. Ma co-interne est en formation l'après-midi, on est vendredi, et c'est toujours là avant le weekend, que les pépins s'enchaînent, selon la bonne vieille loi de Murphy dite de 'l'emmerdement maximum'...Une balanite par ci (infection du gland), hop, acide fusidique en crème et on verra si ça passe lundi. Une constipation par là, zou, cocktail débouche tuyaux (je vous passe les noms). Et 15 minutes avant la quille et le début du weekend... SHIT, le patient du patron ! Infirmièèèèèère ! (Non en vrai je l'appelle par son prénom, et elle par le mien hein) Vous pouvez aller me chercher Mr Machin ? Oui, oui. Ah non en fait, il ne peut pas se lever. Comment ça ?? Je sens le plan foireux à plein nez, je bondis hors du bureau, et quelques tours de clé plus tard je suis au chevet du patient. Un monsieur barbu, la soixantaine, un petit ventre de père Noël, il est complètement tremblant, couché sur son lit, agité, les yeux hagards. Sa respiration est haletante, il sue. Je l'examine, je l'ausculte, je prends une tension. Il hurle de douleur, a mal à toutes les articulations, mais aussi à la poitrine, au cou, aux épaules et au bras droit. Je lui demande s'il sait où on est ? "Chez moi" Ben voyons. L'année ? "Mille neuf cent....mille neuf cent...." C'est celà, ouiiiii. Il a de la fièvre ? 38,5. Bon, Concentration. Désorientation spatio-temporelle, dysarthrie, fièvre, tremblements, agitation, signes dysautonomiques. Manque plus que le délire. Là le patient se redresse "Je suis pas pédé ! Docteur, dites leur, je suis pas ce genre de mec !!". Et donc délire confuso-onirique, sur un mode hallucinatoire. Eh ben on y est les gars, mon premier Delirium Tremens, complication gravissime du sevrage en alcool, 10 à 15% de mortalité AVEC le traitement ! Là ça se bouscule un peu dans ma tête, je prends 30 secondes pour mettre de l'ordre dedans. Valium 10mg/heure en IV, bon ici on va réduire un peu on est pas en réa, Tiapridal, allez il est plus tout jeune, 2 fois 200mg/jour en IV, paracétamol pour la fièvre, réhydratation per os 4-6 litres par jour, bilan en urgence pour voir s'il n'y a pas de troubles électrolytiques à corriger, et vérifier qu'on a pas une hépatite sous jacente. Bon et si jamais c'est pas ce diagnostic ? ECG pour éliminer un syndrome coronarien aigu, D-Dimères pour éliminer une embolie pulmonaire. Allez, gogogo on prescrit. Ah oui, surveillance des constantes toutes les heures (les infirmières m'adorent quand je fais ça ;). Coup de fil à l'interne de garde pour la prévenir de la situation, c'est elle qui lira le bilan sanguin que j'ai demandé et qui fera la réévaluation dans la nuit.

Il est 17h15, je suis sur mon VTT direction la gare pour chopper mon train. Je me refais le film de ma prise en charge. Arf, je n'ai pas prescrit l'isolement si nécessaire ! (ce sont des chambres spéciales pour malades agités où tout est fixé au sol). Tant pis, l'interne de garde le fera au besoin. J'entend déjà mon boss lundi matin "Ouais. Pas mal geré. Peut mieux faire".

samedi 13 décembre 2014

Ne pas se fier aux apparences

4ème garde. La dernière, c'était 6 admissions de suite, j'espère que celle ci sera plus tranquille. Je vais chercher la clé de la chambre de garde pour aller poser mes affaires.

Et ça loupe pas, 1er appel : Admission d'un type de 40 ans en provenance des urgences, d'accord, il vient pour quoi ? Sevrage aux opiacés. Aïe. Ça j'en ai pas encore fait des sevrages aux opiacés. En gros c'est l'héroïne. Et quand on s'arrête d'en prendre il parait que 24h plus tard on tuerait son père et sa mère pour en avoir un gramme tellement ça fait mal partout. Bon, je pose mes affaires, j'ouvre rapidos un bouquin, je relis le traitement.... Ok, y a des crampes musculaires, des douleurs abdominales, faut mettre du Spasfon. Sinon c'est sensiblement les mêmes médocs que pour le sevrage alcoolique. On peut monter jusqu'à un neuroleptique sédatif à faibles doses. Noté. 5 minutes plus tard, bonjour monsieur qu'est ce qui vous amène chez nous ? Je veux arrêter l'héroïne. J'ai une femme superbe et que j'aime, j'ai 3 enfants qui vont bien et que j'adore, j'ai un boulot, j'ai une maison. Tout va bien, y a que moi qui déconne. Tiens, c'est pas le profil habituel de l'usager de drogues (on dit comme ça en médecine. On a pleins de petits noms qui font scientifique et qui sont froidement descriptifs, pour éviter les jugements de valeur. Exemple, l'alcoolo c'est OH+, ou s'il est fin murgé on dit qu'il vient pour exogénose, et les toxicos sont des usagers de drogue. C'est comme vous et moi, usagers de transports en commun, sauf que là eux, c'est de drogue :). Bon. On discute. Y a souvent une très grosse culpabilité chez ces patients. C'est pas agréable pour eux de raconter leur dépendance, leur descente aux enfers. Mais il me faut quelques réponses pour adapter le traitement de sevrage à son cas particulier. Après je me demande pourquoi il bouffe de l'héroïne celui là, alors qu'il a l'air d'avoir une belle capacité au bonheur. Pas le temps de creuser beaucoup, je suis en garde, je connais pas le bonhomme. C'est déjà sacrément intrusif ce que je lui ai demandé. Ça se passe bien, il se détend, je lui explique que si malgré tout ce que j'ai mis il est encore pas bien, nerveux, algique... Il y a de la marge, il demande aux infirmières, j'ai prescrit un coussin de sécurité au cas où. L'entretien se termine. "Merci docteur, vous êtes un gars cool". Alors ça, je l'entend quand j'ai réussi à ne rien montrer du tout de mes sentiments de pitié, ou de colère, que je peux parfois ressentir quand on me raconte des histoires de drogués. Je suis content, c'est ma récompense, ça veut dire que j'ai bien bossé. Hop, bon courage monsieur, parce que ça va pas être une partie de plaisir...

Dring dring, ça sonne. Un patient s'est cassé la figure au pavillon des handicapés. J'y suis allé une fois là bas, c'est la cour des miracles, le vol au dessus d'un nid de coucou. Les patients ont des tronches de film d'horreur, les corps sont abîmés, recroquevillés sur des fauteuils roulants. Ils ne parlent pas, ils émettent des râles, parfois ils crient. Ce sont des patients très lourds, c'est un sacerdoce de bosser la dedans je trouve. J'arrive en plein milieu du repas du soir. Bavettes, nourriture en purée à la petite cuillère. Comme des mômes. Ah docteur, je vous montre. Aïe. Une énorme plaie de 2cm sur 3 juste sous l'oeil, au sommet de la pommette. Les chairs sont explosés. Je sais même pas si on peut recoudre, et si près de l'oeil...Mon dieu, il a l'oeil tout blanc, j'avais pas vu. Et l'autre aussi. Et les mains attachées. C'est pas possible, mais quelle existence il a ce pauvre type. Il est aveugle ? "Oui oui. Il est gentil d'habitude, mais là il s’est agité quand on lui a détaché une main et il s’est cogné au fauteuil ". Bon, ça dépasse mes compétences de suture ça. Hop, aux urgences. Je téléphone pour avoir l'ambulance, je rédige un courrier pour mes collègues qui vont le prendre en charge. Vaccin antitétanique à prévoir. Voilà, on attend l'ambulance. C'est pas trop dur de travailler ici ?" Non, on a choisi, C'est sûr c'est impressionnant au début, après on s'habitue. Et puis ils sont attachants." Eh ben... Moi je dis que ce sont celles là qu'il faut payer 5000 euros le mois ! L'ambulance est là, je sors avec le patient et les ambulanciers quand le téléphone sonne à nouveau...

"Allo, on a un problème avec un patient rebelle en UMD, vous pouvez venir ?" J'arrive. UMD = Unité de Malades Difficiles. Conditions de sécurité maximum pour des patients qui sont soit incarcérés pour une peine de prison, soit déclarés irresponsables suite à des crimes et délits, soit tout simplement ingérables en service de soins psychiatriques conventionnels. Je sonne. 1er sas. Loge du gardien. Bonjour, je vais au bâtiment machin. 2ème sas. Grille électrique de 5 mètres de haut. Poste de sécurité. 3 types plus grands que moi (je fais 1m87 quand même hein...) m'escortent. Arrivée au bâtiment. sonnette. 3ème sas. 4ème sas. Arf, on y est. Ambiance virile : 3 infirmiers barbus, genre rugbyman à qui on aurait enfilé une blouse blanche, les 3 costauds de la sécurité, et moi. On va voir le patient. "Vous voulez voir le dossier Doc ?" Nan, j'aime bien me faire une idée avant d'avoir lu toutes les horreurs que le type a faites, sinon je suis plus neutre du tout, et parfois même agressif. Un black, la vingtaine, en marcel blanc, des biscoteaux comme mes cuisses, et une gueule d'amour à tourner dans une série américaine, sourire aux lèvres et dents d'un blanc éclatant. Celui là, il a la fille qu'il veut quand il veut. Alors Mr Biiiiiiiiip (anonymat hein), il se passe quoi ? Là, c'est confus, une histoire à dormir debout, le gardien lui aurait manqué de respect, et patati et patata. Ouais. Mais vous êtes un grand garçon hein, vous n'allez pas jouer les victimes ? "Docteur, j'ai été violé et battu quand j'étais petit, depuis je supporte pas qu'on me touche, ou qu'on me manque de respect". Tous les infirmiers se marrent. Ah bon. Je fais mon petit discours moralisateur. Vous êtes un grand garçon maintenant, et vous allez faire des efforts pour que ça se passe bien. Comme moi aussi je suis un grand garçon, je ne vous prescris pas la piquouse de Loxapac (vous savez, la massue du psychiatre là) et vous vous calmez tout seul. Et ne me faites pas revenir. Ok doc, merci doc, j'le ferai plus doc. Les infirmiers s'excusent de m'avoir dérangé pour si peu, mais ils 'ont des consignes', quand ça barde, faut qu'un toubib passe voir le patient. Pas de souci. Ah, et laissez moi le bureau 2 minutes, maintenant je veux bien lire le dossier. Violeur multirécidiviste, 3 condamnations. Il les cognait en plus.

Il est 20 heures, je vais manger, des tomates farcies dans un tup, réchauffées au micro-ondes. Je reviens à ma chambre de garde, et là, plus aucun appel de la soirée et de la nuit. C'est la grande loterie en garde, parfois on finit la nuit en rampant, parfois on est payés à rien foutre.

samedi 6 décembre 2014

L'Expertise

"Qu'est ce que tu glandes à 14 heures ?" C'est la voix de mon chef de pôle que j'entend derrière moi. A coup sûr il me propose un truc cool, mais je ne peux pas répondre 'Ben rien du tout' parce que je suis censé bosser pour lui à cette heure là ! "Euh, j'ai prévu de passer au pavillon truc pour des entretiens, mais je peux décaler !" Ben alors viens à mon bureau, je fais une expertise si ça t'intéresse...!

Alors c'est quoi une expertise ? Ça a à voir avec le judiciaire. C'est un juge, qui instruit une affaire, et qui un moment donné se pose une question d'ordre psychiatrique. Comme lui, c'est pas sa spécialité, il va poser sa question au psychiatre, qui va devoir lui répondre. Cet après midi c’était le cas d'une jeune fille de 22 ans qui avait déposé plainte contre un homme, un ami de la famille, pour attouchements. Et la question que se posait le juge c'est : Y a t'il des troubles chez la victime présumée qui pourraient avoir été causés par un traumatisme d'ordre sexuel, et plus généralement, le juge veut aussi un examen de la personnalité de cette présumée victime. Je la fais simple : Est ce que cette fille est complètement mytho, ou est ce qu'on peut raisonnablement prendre en considération ce qu'elle dit. Waw. Quel pouvoir. C'est presque trop ! Je dis à mon boss qu'il faut être le top du top de détecteur de mensonges pour affirmer que telle personne ment, et telle autre dit la vérité. Il me reprend. "Alors là je t'arrête tout de suite, c'est pas du tout la question posée. Depuis l'affaire d'Outreau, les juges ne demandent plus à un psy de juger directement de la crédibilité d'une victime. Ça va se passer tout autour. Est ce qu'il y a des éléments chez la victime présumée qui sont compatibles avec un traumatisme. Est ce que la personnalité de la victime présente un trouble qui pourrait être associé à une tendance aux affabulations. Etc...". D'accord, ça c’est quand même nettement plus facile de répondre à ces questions. Et c’est sacrément intéressant !
C'est parti, l'entretien débute. Une jeune fille, un peu garçon manqué, en jogging. Elle parle de sa vie, de son enfance, de ses passions, du quotidien. Mon boss la met à l'aise. Quelques vannes pourries sur les rapports homme-femme (il adore ça, et je vois pourquoi il le fait alors que c'est justement le sujet brûlant : pour dédramatiser). Et tout d'un coup sans prévenir, à partir d'une question anodine, la présumée victime parle parle parle, saute du coq à l'âne et PAF, on l'arrête plus, elle nous raconte le truc alors qu'on lui a rien demandé. Elle pleure, elle se mouche, elle renifle, elle hoquette. Elle est tellement mal, tellement traumatisée, que je commence à sentir les larmes qui me montent. Je vais pas me mettre à chialer quand même, c’est pas très professionnel ! En fait quand je suis en situation d'entretien, ça va, je gère toujours, même les pires trucs. Là en situation de témoin passif, c’est autre chose, je suis complètement absorbé par son discours, par son désespoir. Je me reprends. Ouf, ça passe. 
Le boss prend son temps. Il explore, farfouille, pointe du doigt, soulève les coins de tapis. Mais toujours avec une pointe d'humour dès qu'on progresse en zone dangereuse. C'est sympa les vieux qui travaillent devant les jeunes, on a quand même rien trouvé de mieux pour transmettre le savoir. J'apprécie le moment à sa juste valeur. Au final c’est une histoire un peu banale, ce qui ne retire rien à sa gravité. L'ami de la famille est allé papouiller la fille de son pote dans le garage pendant qu'il avait le dos tourné. Elle avait 15 ans. Vu sans doute que c'en est resté au stade des attouchements, le traumatisme a eu une portée limitée sur le développement de la jeune fille, qui arrive à avoir des petits copains et des rapports sexuels satisfaisants. Mais il reste de ça une perte de confiance majeure envers les hommes, qui peuvent à tout moment laisser paraître l'immonde porc qui sommeille en eux. Je résume hein, mais en gros c'est ça.

Une bonne heure plus tard, c’est terminé. Nous échangeons nos impressions. Pas de trouble de la personnalité. Crédible. Y a un impact sur son développement, y a un préjudice. Voilà. Reste plus qu'à mettre tout ça dans un jargon psychiatrico-judiciaire, à être bien exhaustif pour que ça fasse à la fois sérieux et que ça prenne 4 pages. Comme je suis aussi un mec très terre à terre, je calcule. 1 heure d'entretien, 1 heure pour taper, relire, corriger. "Et combien c’est payé ?" Le boss marque un temps d'arrêt, puis se marre. Bah quoi, c'est super intéressant, mais j'aime bien avoir tous les éléments moi ! "C'est payé 290 euros". 150 de l'heure, ok c'est à peu près comme les consultations. Donc si on veut faire des expertises, on ne gagne pas plus, mais on ne perd pas d'argent. Je sens que je vais vouloir faire des expertises, varier, c'est ne pas se faire ch...!

Dieu et les autres...

3ème garde. Cette fois ci ma bonne étoile a estimé que j'étais chaud-bouillant, prêt à gérer le tout venant, et du coup elle m'a envoyé 6 admissions dans 4 pavillons différents. Le tout en une heure, le téléphone n'arrêtait pas de sonner. Evidemment ça aurait été trop facile comme ça donc il a fallu sandwicher avec d'autres coups de fil pour des pépins dans les services, maux de tête, maux de ventre, vomissements et autres diarrhées. 
Au menu tout d'abord :

Les dépressifs. Une dame la quarantaine, clouée dans un fauteuil depuis un accident du travail il y a 6 ans, une chute gravissime. "Aujourd'hui, j'ai voulu me tuer, j'avais le couteau dans la main, et j'ai pensé à ma fille. Elle a 16 ans et elle fait comme sa mère, elle se scarifie et il y a une semaine elle a tenté de se suicider." Je vous passe la suite de l'entretien : C'est du Zola. Bon, vous allez faire une pause ici, vous allez vous retaper, et puis on va mettre en place un suivi psychologique pour votre fille parce que là c'est impossible de vous en occuper dans votre état. Elle me regarde complètement indifférente, comme sonnée. J'appuie là ou il faut : "Vous dites que vous n'êtes pas une bonne mère, mais aujourd'hui, vous pouviez être très égoïste, et vous en aller en la laissant là, toute seule. Vous avez choisi de ne pas le faire. Vous avez choisi de rester pour elle. Ça c'est une bonne mère, même si pour le moment votre situation personnelle ne vous permet pas de l'aider plus". Hop, hop, hop, changement de pavillon, viiiiite, y en a encore 5 à voir ! Un ex taulard tatoué des mains jusqu'aux épaules, puant la bière, envoyé des urgences sans même un bilan sanguin. Bon, il a l'air bien là mais qui sait ce qu'il a pris avant. Il va peut être piquer du nez dans la nuit et on le retrouvera tout raide et tout blanc demain matin. Prise de sang, recherche de toxiques, mise à l'isolement tant qu'il est encore amoureux des infirmières et avant qu'il ne décuve et ne devienne agressif...

Les délirants. Ce monsieur me salue comme un ministre, tout sourire. Il annonce à qui veut l'entendre la venue prochaine de notre Seigneur. Vous n'avez pas vu les signes ? Les inondations, la guerre en Syrie, la sonde sur la météorite, etc. Même le curé de la paroisse l'a trouvé un peu zinzin, c'est dire. Ouais. Examinons un peu la dangerosité. Et si on vous empêche ? Et si Dieu vous commande de faire autre chose ? Et si le Diable apparaît ? Vous avez peur du Diable ? Non, non, non. "Vous voyez, je ne suis pas méchant". Ah ben je suis arrivé à la même conclusion. Calme, bienheureux presque, pas bien méchant le prophète. Seul hic, les comprimés antipsychotiques. "Ah non ! Je ne les prendrai plus parce qu'ils m'empêchent d'entendre Dieu". Eh ben voilà au moins un traitement dont on sait qu'il fonctionne ! On va passer tout ça en gouttes et lui proposer une bonne tisane. Je sais c'est un peu vicieux (parfois c'est le Diable qui m'inspire) mais pensez à sa femme, ses frères, ses enfants, ses petits enfants, tout ce monde qui le trouvait vachement mieux avant et qui est très inquiet. Après lui je vois un ancien chef d'entreprise, la cinquantaine, cheveux hirsutes, qui me raconte une obscure histoire de titre de noblesse qu'on lui aurait volé (je dois m'adresser à lui en lui disant 'Monsieur le Comte'... Sans vouloir vous commander doc' hein). Un château, un vol de chevaux dans sa propriété, une guerre avec le Duc d'à côté. Ouais ouais ouais. Monsieur, vous savez en quelle année nous sommes ? Eueuh, en 2014 ! C'est ça, et vous croyez qu'en 2014, on est au temps des chevaliers, des châteaux forts, des guerres à cheval ? Eueuh, non. Mais c’était dans une autre vie docteur !! Ah, voilà je comprends mieux ! Zou, Loxapac pour ce soir parce que Monsieur le Comte est bien parti pour mettre le service à feu et à sang avec son épée, et on va augmenter le Risperdal gentiment sur le weekend. Visiblement, la dose initiale ne suffisait pas.

Les angoissés. Un type la soixantaine ramené par sa femme en voiture qui l'a largué devant le pavillon sans passer par les urgences, sans coup de fil préalable.  Elle aurait juste lâché un "J'en peux plus, je vais le tuer", puis est repartie, son colis livré. Bonjour monsieur, qu'est ce qui vous amène chez nous ? Il noue un mouchoir sans relâche avec ses mains, a les sourcils tombants de Droopy et de temps en temps respire bruyamment, soupire, s'interrompt. Il est angoissé, horriblement angoissé. Il ne sait pas pourquoi. Mais alors quelle forme ça prend cette angoisse... Il prend la voiture ? Il se dit qu'il va se planter dans un arbre. Il veut faire des courses ? Il se dit que des factures imprévues vont arriver et qu'il n'aura plus assez d'argent pour les payer. Il veut inviter des amis à dîner ? Il se dit qu'ils vont s'étouffer avec la nourriture et repartir les pieds devant. Docteur, mais qu'est ce qui m'arrive, je ne peux plus rien faire !! Je précise un peu le mécanisme. D'accord, ce sont des idées de ruine, de mort, qui s'imposent à lui et tournent dans sa tête. Ça ressemble à un trouble anxieux généralisé mais avec une composante compulsive très marquée. Je l'interroge sur sa vie. 3 infarctus en 5 ans. Sa femme a 2 cancers. Leur fille unique a été opérée par cœlioscopie d'un truc banal mais ils ont touché la rate, saignement massif, 4 opérations depuis pour rectifier le tir mais ça va à chaque fois un peu plus mal. Là on comprend mieux. Je prends la parole. Monsieur, vous êtes dans cet état parce que la vie ne vous a pas épargné, vous avez vécu des événements très difficiles, nombreux, dans une période très rapprochée. Là, vous attendez le prochain coup, sans savoir quand et d'où il va venir. C'est votre corps et votre esprit qui se défendent, qui sont en alerte, qui font comme la tortue qui rentre sa tête pour anticiper ce qui pourrait bien arriver à nouveau. Vous aviez déjà tendance à être anxieux étant jeune, et là ça a empiré, c'est devenu une vraie maladie qu'il faut soigner. "Ah d'accord." Son visage s'apaise un peu. C'est dingue l'effet thérapeutique que ça peut avoir quand les gens comprennent pourquoi ils sont dans cet état, et quand ils peuvent nommer leur maladie. Bon là c'est quand même pourri de chez pourri, le pauvre type est tellement stressé qu'il a des diarrhées motrices depuis des jours, il n'a pas dormi depuis 72 heures. Il a déjà des benzos et un antidépresseur, je les laisse. On va taper fort pour qu'il passe un weekend un peu plus tranquille. Zou, Tercian. Un neuroleptique qui devrait agir sur le côté compulsif des idées noires, et qui aux faibles doses où je le prescris ici, est anxiolytique. Je le préviens : Monsieur, je mets des médicaments assez forts parce qu'il faut casser un peu ce cycle infernal dans votre tête. Vous allez sans doute être un peu endormi ce weekend. "Oh qu'importe, pourvu que ça s' arrête". Il lâche son mouchoir, "Docteur, je crois que ça va déjà un peu mieux". Tant mieux, et maintenant reposez-vous, et buvez beaucoup ! (les diarrhées...).

Depuis la dernière garde, je note les noms de tous ces patients dont je fais les admissions. Pour la plupart, je ne les revois pas, ils sont admis dans d'autres services que celui où je travaille la journée. Cela me permet de pouvoir ensuite suivre leur dossier sur le serveur informatique et voir ce qu'ils sont devenus quelques jours plus tard. Comme ça je sais si mes idées de diagnostic ont été infirmées ou confirmées, et si mes traitements ont été modifiés ou reconduits par les psychiatres du service, bien plus expérimentés que moi. Parfois j'avais vu juste, parfois j'ai des surprises. Mais en tout cas, c'est toujours très instructif !

samedi 29 novembre 2014

Demandeuse d'Asile


Docteur Azimuth ? (On m'appelle docteur toute la journée, j'en reviens toujours pas) vous pouvez aller au pavillon machin ? Il y a une dame albanaise qui est arrivée en urgence cette nuit, elle ne parle pas français, et là son fils est venu la voir, il peut traduire. Ok, je prends !

Bonjour, installez vous. Racontez moi un peu pourquoi vous êtes là. C'est donc une dame de 45 ans environ, qui se tient très droite, très digne, habillée en couleurs sombres, les cheveux relevés en chignon. Son apparence sévère tranche avec un sourire poli et ennuyé, comme si elle pensait déranger. Son fils, 19 ans, traduit les propos échangés. Lui, il est tout sourire. Oui elle entend des voix, oui elle est angoissée, oui elle se sent déprimée,  oui elle veut se suicider.... Oui à tout en fait. Hum. Puis, elle fait une grande phrase de 30 secondes dans un seul souffle. Le fils traduit : elle a une schizophrénie depuis qu'elle est jeune et on l'a traitée avec du Haldol, un neuroleptique puissant, là bas en Albanie. Ah. Bon ben on va remettre du Haldol alors, si elle est schizophrène. Au moment de valider l'ordonnance sur l'ordinateur, j'ai une vieille démangeaison qui me prend dans le cerveau. Si je fais ça c'est parce que je crois ce qu'on me dit. Ça c'est un peu moi, je pars du principe que les gens sont honnêtes, ne mentent pas, et je crois ce qu'on me dit. Le hic, c'est que moi perso, du haut de ma mini expérience en psychiatrie, je n'ai vu aucun signe de schizophrénie. Le contact est normal, adapté, poli même. Bon, elle a l'air angoissée, ça oui. Dépressive ? Peut être, c'est à préciser. En fait, plus j'y réfléchis, plus j'ai un gros doute. Ok. Je peux pas prescrire ça, ça n'a pas de sens. Je change le Haldol pour une benzodiazépine qui va diminuer son anxiété, et je vais réfléchir à tout ça. Je me renseigne un peu, et finit par trouver le numéro de téléphone de l'endroit où vit la famille : C'est en fait un centre de demandeurs d'asile. La travailleuse sociale que j'ai au bout du fil joue franc jeu. Oui la "crise" de la mère coïncide avec le moment où ils ont appris que la demande d 'asile a été refusée. Non elle allait très bien avant, aucun trouble délirant, ou de comportement. Pas de Haldol non plus dans les 6 mois où la famille était en France, et ce malgré 3 rendez-vous chez le médecin généraliste qui les suivait ici. Et oui, si une nouvelle donnée survient comme par exemple une maladie chronique exigeant des soins continus, eh bien on peut refaire une nouvelle demande d'asile. D'accord, je comprends mieux. Je sens que ce soir je vais me coucher moins con et moins naïf. Faut quand même être salement motivé et acculé pour accepter de manger du Haldol quand on est pas schizophrène !! Bon et maintenant je fais quoi moi ? Je la fous dehors parce qu'elle s'est foutue de moi ? Je lui file son Haldol pour que la famille puisse rester en France ? Je me rappelle la phrase de Michel Rocard : "On ne peut pas accepter chez nous toute la misère du monde". C'est complètement vrai. Et tellement facile quand on est né du bon côté de la frontière... Allez, je vais faire ce que d'habitude je fais pas trop mal  : Couper la poire en deux. Le lendemain, je reçois à nouveau la mère et son fils. Je joue cartes sur table. J'ai appelé au centre des demandeurs d'asile et je sais tout. Il n'y a pas de schizophrénie. La mère se met à pleurer. Le fils aussi. Je tend un paquet de mouchoirs et je leur dit ce que je leur propose. Je vais garder la mère quelques jours pour un syndrome anxio-dépressif qui me semble bien réel, et même si le risque suicidaire n'est pas avéré. Je ferai un courrier à la fin qui recommandera un suivi bi-mensuel en ambulatoire pour une psychothérapie de soutien. Je ne nie pas que la situation précaire dans laquelle ils se trouvent est fortement stressante et a pu engendrer ces troubles. Mais pour la schizophrénie, c'est niet. Après, libre à eux de se servir de ce compte rendu d 'hospitalisation. A mon avis ça ne suffira pas, tout au plus auront-ils un nouveau délai. Éthiquement, c'est la limite que je me suis posée, je sens que si je vais plus loin parce que je les trouve sympas et ai pitié d'eux, je vais passer dans la catégorie des médecins complaisants, qui sur-diagnostiquent pour des raisons politiques, ou même par choix humain. Moi je ne peux pas, je m’arrête ici. Au bout de quelques jours la mère va mieux, l’équipe soignante me dit que les insomnies ont disparu et en entretien, elle sourit, ne tord plus ses mains, me regarde bien dans les yeux. Je fais le fameux courrier, sans forcer le trait, mais en restant descriptif et surtout exhaustif sur les troubles constatés.

Nous nous levons. Je remets l'enveloppe, et leur serre la main à tous les deux en leur souhaitant bonne chance. Je culpabilise un peu, je ne sais pas si je pouvais faire un autre choix que celui que j'ai fait. C'est une décision à mi chemin entre la bienveillance pour autrui que mon éducation m'a donnée, et la rigueur que je souhaite avoir dans mon métier. Je les regarde s’éloigner, la mère au bras de son fiston.



les Geôliers

Le moment de la semaine que je déteste, c'est le vendredi après midi. 

Pourtant ça devrait être un moment sympa, le weekend arrive, mais non... Et voici pourquoi : C'est le moment des permissions du weekend... Pendant quoi, 2-3 heures, on n'est plus psychiatre, on est geôlier.  Il faut savoir qu'une bonne partie de nos patients ne sont pas chez nous de leur plein gré : Leur maladie présente souvent un symptôme qu'on appelle l'anosognosie (vous savez, comme Jacques Chirac) c'est à dire qu'ils ne se sentent pas malades, ils ne reconnaissent pas qu'ils ont des soucis, même quand on leur met tout ça sous le nez. Donc ils sont hospitalisés contre leur gré, on parle d’hospitalisation sous contrainte. Rassurez-vous, il y a un cadre légal très strict pour faire ça, faisant intervenir plusieurs médecins différents, un directeur d'hôpital, un juge, et non, votre belle-mère ne pourra pas vous faire interner abusivement à moins qu'elle n'ai tout ce petit monde dans ses relations du Rotary. Bref, je reviens à mes moutons, la semaine ça va bon gré mal gré, on a souvent leur accord, enfin plutôt ils se sont résolus à leur sort. Comme ils sont pour beaucoup un peu azimuthés avec les traitements ils ne savent pas trop quel jour on est. Et puis l'info commence à se répandre : On est vendredi après midi !!! Effervescence. Comme un banc de poissons qui frétillent. Je veux mon coup de fil ! Je veux une permission ! Laissez moi sortir vous n'avez pas le droit ! Je signe une décharge ! Ça c'est pour le coté 'ouvert'. Le coté fermé c'est pire. Le bureau infirmier communique avec par une fenêtre de verre épais toute en hauteur, mais pas très large. On voit 4 ou 5 visages angoissés qui s'écrasent en escalier contre la vitre. Et ça toque, et ça gratte, et ça vocifère. Et moi, chaque fin de semaine, je me sens super mal. J’évite de regarder cette vitre. Je reçois brièvement dans le bureau ceux qui "craquent" et je ré-explique le projet thérapeutique. Fou ou pas, la perte de liberté est une expérience fortement désagréable. Les murs qui tiennent toute cette pression accumulée pendant la semaine se fissurent tous les vendredi... Alors on négocie, de pied ferme. Cas par cas. Un tel va mieux : On prend le risque, permission de 12 heures. Un autre demande, bafouille, gesticule, verbigère des trucs difficiles à suivre, s'épuise... Non monsieur c'est trop tôt. On console avec la permission de sortir fumer une cigarette plus souvent. On élargit la durée du passage en milieu ouvert. On sent qu'on fait des trucs profondément injustes. "Mais pourquoi lui il sort et pas moi ?? J'en peux plus d’être ici docteur, je vais devenir FOU !!!" Sauf qu'il l'est déjà, et heureusement un peu moins on espère que la semaine d'avant...Allez on tient bon. Cas par cas j'ai dit. Oui. Non. Oui. Non. Euuh, les infs', vous en pensez quoi ? (Toujours demander aux infirmières, ce sont elles qui voient les patients 12 heures par jour, quand nous c'est plutôt 1 ou 2...). Fin de la journée, je dégaine mon porte clés, celui avec les clés du service dessus. Il est orné d'un petit phallus en bois sculpté (j'allais dire en bois bandé). C'est le chef de pôle, mon supérieur, qui me l'a offert de retour de son voyage au Népal. Noooon ? Si, si ! Y a qu'en psychiatrie que vous verrez ce genre de truc arriver ! J'en suis fier comme un coq, imaginez, quand on a lu quelques conneries de Freud sur la symbolique, et votre patron vous offre un truc comme ça...

Je tourne la clé dans la serrure : Je suis dehors, à moi le weekend, à moi la liberté ! Mon sentiment de culpabilité s'estompe un peu quand je me dis que je vais bosser d'arrache pied pour qu'ils puissent tous sortir un jour.... 

Le plus ancien est là depuis presque 10 ans.


vendredi 21 novembre 2014

Y tù, tienes cojones ?

2ème garde, beaucoup plus tendue que la précédente. Ça a commencé par 2 admissions à 1 heure d'intervalle avec exactement le même tableau : La misère sociale... Au début c'est la perte d'un emploi, puis une rupture sentimentale, ensuite arrive l'alcool, avec son cortège habituel : perte de volonté, incurie, dépression, lente descente aux enfers... J'ai eu d'abord le mâle, et juste après, la femelle. Même espèce, mêmes gueules, même teint de peau grisâtre, coupes hirsutes, yeux jaunes, sans-dents comme dirait l'autre.. .L'enjeu c'est toujours qu'ils acceptent l'hospitalisation. J'y vais cool, j’écoute l'histoire de leur vie. Je n'ai pas l'indécence de leur parler de leur consommation d'alcool au 1er entretien, alors qu'on s'connait depuis 10 minutes...Valium pour la prévention du delirium tremens vu que ça va tanguer dans les chaussettes cette nuit, je ne vous cache pas qu'on ne sert pas de mojitos en hôpital psychiatrique...vitamines (les alcooliques sont à peu près toujours carencés) et on verra la suite demain.

Ensuite je suis appelé pour un jeune de 17 ans qui présente une fièvre brutale à 39°. Je vais le voir. Il sue, tremble, est couché en chien de fusil. Je lui demande s'il a mal quelque part, un infirmier me dit qu'il est autiste et qu'il n'a jamais parlé. Je l'examine, je trouve qu'il a des troubles de la vigilance (on me confirme qu'on a d'habitude un contact visuel avec lui, que la je ne retrouve pas). Aïe, et une raideur de la nuque. Bon. Ce serait bien le diable, mais la comme ça je ne peux pas éliminer une méningite. Pour moi c'est un transfert aux urgences. J'ai un peu peur d’être taxé de maximaliste alors j'appelle la PH de garde (ma supérieure) qui confirme. Ok, feu vert. J'appelle aux urgences pour prévenir de l'arrivée du patient, on me passe le médecin, je décline les symptômes...Il se marre. Je lui demande pourquoi ? 39°, c'est pas une méningite. Ah bon, vous pouvez le dire comme çà vous. Ouais,  il faut au moins 40°. Bon, et la raideur de nuque, et le fait qu'il soit complètement apathique ?? Oui bon, on vous le prend...Ben j’espère bien ouais ! C'est ça aussi la médecine, quand on fait son boulot et qu'on est prudent, ça fait du boulot aux autres, et ça cause quelques frictions... Je me suis imposé, je suis content ! Mon patient part aux urgences sur une civière avec un masque de chirurgien...

Je suis encore appelé 3 ou 4 fois dans la nuit pour des mises en isolement ou des prescriptions de Loxapac (la "matraque" du psychiatre...une ampoule en injection et BOOM, ça assomme !) pour des patients très agités qui cassent, tapent contre les murs, hurlent des trucs incompréhensibles....C'est gai parfois la psychiatrie, moi j'vous l'dis !

5h30, je commençais enfin a dormir un peu. Coup de fil de l'unité des personnes âgées. Une petite mamie de 80 ans a une tension à 70/50 et désature à 80% (plus assez d'oxygène dans le sang...). Je fonce sur mon VTT, ah ben v'la qu'il y a un brouillard à couper au couteau, je passe devant l’église gothique de l'hôpital et entend une chouette qui hulule. Bien lugubre tout ça. J'arrive sur place, on me conduit rapidement à la chambre. Aïe aïe aïe. Elle est toute blanche la mamie, on voit ses veines bleues en transparence. Le teint cireux, le regard qui plafonne. Elle est déjà dans les vaps. Elle respire bruyamment. Masque à haute concentration d’oxygène, allez hop, 6 litres cash. Jambes relevées pour ramener du sang vers le tronc et le cerveau. L’infirmière met une voie veineuse et on lui passe du sérum phi, j'appuie sur la perf comme une brute pour que ça passe plus vite. Prise de tension mam'selle s'il vous plait. Oui oui à nouveau. 90/70. On a gagné deux points. La mamie ouvre les yeux, je lui dis que tout va bien (je tousse intérieurement) et qu'il faut qu'elle se concentre sur sa respiration, qui doit être lente mais profonde. Et la sat ? 91%, vive l’oxygène. Ok, maintenant j'ai le temps d'aller lire le dossier et de réfléchir. 80 ans, coeur usé, néoplasie du colon en cours d’évolution, des escarres un peu partout et un traitement à la morphine. Je regarde ses dernières analyses de sang : Tout est dans le rouge. Je repère une hyperkaliémie à 6 (un trouble ionique) rien que ça, ça peut la tuer là tout de suite maintenant. Je demande immédiatement un ECG qui me revient tellement pathologique que je ne sais même plus le lire. Y a des signes d'ischémie, y a des troubles du rythme, y a encore pleins d'autres trucs sans doute... Waw. Et moi j'arrive la dedans. Et j'ai pas les yeux en face des trous. Je réfléchis bien plus lentement je le sens bien. Je l'envoie aux urgences ? Attendez docteur, je crois qu'elle ne souhaite pas être ranimée. Ah bon, et la feuille de directives anticipées est où ? Eueuh dans le dossier papier. On m’amène un truc de 2 kilos et 50 cm de haut rempli de feuilles volantes. Je cherche un peu. Je trouve pas. Je me remémore mes cours d'éthique médicale, notamment sur l'acharnement thérapeutique. Si je l'envoie aux urgences ils sont obligés de l'intuber, la ventiler, corriger tous ses troubles ioniques, et c'est reparti pour quelques jours ou semaines, on ne sait pas. Si je fais rien elle meurt dans la journée. Je connais pas la patiente, je connais pas le dossier, ni le contexte familial. Y a pas de consignes claires. J'ai mal au crâne et les yeux qui voient tout flou. Et là je fais le truc le plus lâche qui soit : Je décide pas. Trouille de faire une connerie irrattrapable qui viendra hanter mes nuits. Hop, Je suspend la prescription de morphine de 8h du matin et les diffu-k sinon ça finirait le boulot très vite... Et je laisse tout en plan. Là elle est plutôt calme, et avec ce que j'ai fait elle sera encore en vie à 9h quand le médecin du service arrivera, il prendra lui même la décision. Je demande quand même à me faire rappeler si la situation se dégrade à nouveau. Il est 6h15, je me rendors, non sans mal...

Le lendemain, on m'informe que mon jeune patient n'avait pas de méningite. Pfiuuuu, tant mieux pour lui ! Et puis plus tard j'apprends que ma mamie est décédée à 19h. Avec l'accord de son fils, ils ont remis la morphine, et ils ne l'ont pas transférée aux urgences...


samedi 15 novembre 2014

Voyage, voyage...

On me dit qu'un patient "à nous" va arriver dans l'après midi, un transfert d'un hôpital psychiatrique de Bretagne.

D'abord il faut que je vous dise ce que c'est qu'un patient "à nous". La psychiatrie ça fonctionne par secteur. C'est à dire que si vous, vous dézinguez, vous pétez un câble, vous partez en sucette (ou en live comme on dit en 2014), on regarde votre adresse, parfois aussi la première lettre de votre nom de famille, et on vous envoie dans l'hôpital psychiatrique qui couvre ce secteur. Donc, ce patient à nous arrive, en ambulance. Qu'est ce qu'il foutait en Bretagne alors qu'il n'y habite pas ? On le voit en entretien. La quarantaine, discret, le regard un peu fuyant, très évasif dans ses réponses, presque mystérieux. Au bout d'un moment, on reconstitue les événements : Ce type est allé à un distributeur de billets, a retiré une forte somme en liquide, et, en pleine nuit, a commandé un taxi pour faire quasiment 1000 km et rejoindre Nolwenn Leroy qui lui avait filé un rendez-vous galant. Comment ? Par "des communications confidentielles dont je ne souhaite pas dévoiler la nature". Ouais. On a comme un doute. D'autant plus que Nolwenn Leroy a finalement eu un empêchement, et que notre patient, dépité, a été retrouvé errant quelques jours plus tard. Il avait dormi dehors, enfin bref, la cata. Ça c'est un beau lapin, pas sympa la Nolwenn, je l'imaginais plus cool que ça en la voyant à la télé ! Plus sérieusement, en langage psychiatrique ça s'appelle un "voyage pathologique" et on comprend bien pourquoi...! Dans les antécédents, on s'aperçoit que ce n'est pas tout à fait la première fois, que c'est un habitué des histoires d'amour (ratées) avec des starlettes télévisuelles. D'accord. On interroge le bonhomme, aucune critique de ses actes, l'adhésion à son délire érotomaniaque (c'est quand on croit, à tort, être aimé de quelqu'un) est complète. Faut essayer de le sortir de là quand même, d'autant plus qu'il a un boulot, une femme et deux enfants. On regarde les traitements, et là on voit que c'est déjà la 3ème fois qu'il a rencard avec une pin-up célèbre à l'autre bout de la France depuis qu'on a changé de neuroleptique. C'est donc que celui qu'il avait avant marchait beaucoup mieux...Mais pourquoi diable est ce qu'on avait changé ? Ah voilà, le problème c'est que celui d'avant avait un gros, un très gros effet secondaire : Le patient ne bandait plus. Et ça, pour un mec qui a des délires érotomaniaques, c'est juste pas acceptable. C'est le musicien qui devient sourd ou le sommelier qui a plus droit de boire de l'alcool. Impossible. Du coup, il ne prenait plus son traitement. Je sens qu'on est parti pour une hospitalisation de plusieurs semaines, où il faudra changer encore de neuroleptique, et ça c'est assez long si on veut faire le switch dans les règles de l'art. Et puis bien sûr on aimerait arriver à réduire le délire jusqu'à obtenir du patient qu'il puisse critiquer son geste, et que, peut être, je dis bien peut être, il reconnaisse qu'il n'avait pas vraiment été en communication avec Nolwenn Leroy, mais que tout ça c'était un peu dans sa tête.

Quelques jours plus tard, on le revoit en entretien. On apprend qu'en fait, il communiquait avec Nolwenn Leroy par des vidéos sur Youtube, et que pendant qu'elle était interviewée par des journalistes, elle envoyait des messages codés au patient, avec le lieu et l'heure du rendez-vous secret... L'adhésion au délire se fissure un peu lorsque le patient reconnait que ce voyage était "mal préparé", et qu'il avait "un peu interprété rapidement ce qu'elle disait aux journalistes" et que peut être "ça ne lui était pas adressé, en fin de compte". Le visage se glace parfois, le regard devient triste. C'est pas sympa, vous me direz, de lui faire réaliser qu'il s’est pris un méga râteau. Ça va peut être sauver (jusqu'à la prochaine fois) son mariage et économiser un peu de sous au ménage en frais de taxi, mais ça reste pas sympa. Dur à avaler, même. Quelle déception. Eh ben voilà que notre patient passe de l’exaltation amoureuse au dépit qui confine à la dépression. Faut qu'on y aille cool, sinon on va au devant d'autres problèmes : les idées noires, la pulsion suicidaire. Bon, ça a l'air de lui passer. Il annonce finalement qu'il s’est réconcilié avec sa femme, avec qui aux dernières nouvelles il était en instance de divorce, et il demande une permission le weekend pour aller voir ses enfants. Réconcilié, ah bon ? "Oui, elle m'aime, notre amour est au delà de tout". Hum, hum. Le délire érotomaniaque aurait il changé d'objet ? Bon, il faudra discuter avec sa femme. En attendant on lui file sa permission, il est calme, présentable pour ses mouflets, qui ont certainement besoin de voir leur papa disparu depuis maintenant 3 semaines...

Je m'offre un moment de détente, et visionne quelques vidéos de Nolwenn Leroy sur internet. J'ai les mots d'un de mes potes qui viennent tout seul dans ma tête : "T'as bon goût mon cochon !!"


jeudi 13 novembre 2014

Ping-Pong

On m'a toujours dit que le ping-pong, c'était un sport d'intello. Chez les médecins aussi, on joue au ping-pong.... avec les patients ! Oui je sais c'est choquant, mais c'est très ludique vous allez voir.

Il y a quelques jours on a reçu au service un petit monsieur âgé qui venait tout droit des USIC (ce sont les soins d'urgence qui concernent le coeur, en gros). Il avait fait un infarctus qui avait été traité par la pose de stents  (sortes de petits ressorts qui sont placés dans une artère nourricière du coeur pour restaurer le passage du sang dedans). Malheureusement, aux USIC, ce petit monsieur âgé avait fait ce qu'on appelle un syndrome confusionnel. Il ne savait plus qui il était, où il était, ce qu'il faisait là. Ça arrive plutôt quand on a de l'âge, quand on a été hospitalisé, quand on a pris plein de nouveaux médicaments, quand on est déshydraté... Ça donne l'air d'être un peu fou. Ça ressemble à de la psychiatrie, mais ça n'en est pas, ce n'est qu'un trouble passager dû à des variations d'eau et d'ions dans le corps. Ça se traite avec du temps, du repos, des perfusions et l'arrêt des médicaments incriminés. Sauf que les cardiologues ils se sont dit bon, on va en profiter pour le refiler aux psychiatres. C'est toujours un problème les personnes âgées : Tout le monde est d'accord pour les soigner mais après, on est très embêté parce qu'elles mettent du temps à reprendre du poil de la bête, et on a besoin du lit pour le prochain...On a donc reçu le petit monsieur âgé, avec son problème pas-psychiatrique, on l'a soigné comme les cardiologues auraient du le faire, et au bout de quelques jours il allait beaucoup mieux. Puis vint le délicat moment du smash revers (ping-pong toujours, vous suivez hein ?) et de renvoyer le patient aux cardiologues. Alors là, autant vous le dire tout de suite, en médecine, c'est ce qu'il y a de plus difficile ! Devinez à qui on a demandé d'appeler le cardiologue ? Bon c'était facile : Votre serviteur. Tic, tic, tic, tic, tic, tûûûût, Allo ? Commence alors une discussion de marchand de tapis sur le grand souk de Marrakech. Le cardiologue, raquette en main, est au service : "A mon avis il relève maintenant plutôt d'un service de gériatrie", je tente un smash : "Certes, je ne contredis pas votre évaluation, et vous laisse toute latitude d'orienter votre patient où bon vous semble"..."Oui mais là, il est chez vous, vous pourriez vous en charger"..."Monsieur, nous n'avons pas vocation, en psychiatrie, à assurer les soins de suite des USIC"...Comme je prenais l'avantage, il me sort sa botte secrète : Un coupé amorti qui me laisse pantois. "Je vous arrête tout de suite, on vient de me dire que le service était complet, nous n'avons plus de lit, nous discutons pour rien." Et voilà, je regarde la balle rebondir de mon côté du filet puis s'immobiliser. J'ai perdu.

Dur, dur, le ping-pong !


samedi 8 novembre 2014

Les survivants

Quand on est petit externe en médecine (de la 3ème à la 6ème année d'étude) on pense tout le temps à deux choses : Prendre du galon en étant interne, c’est à dire enfin 'faire' et non plus 'regarder faire'. Et puis on pense aussi à sa première garde. Ah la première garde, tout seul dans son slip. Test ultime : Savoir si on va arriver à être indépendant dans sa prise en charge, si on va 'pouvoir gérer'... Pour moi c'est venu plus vite que je ne le pensais, c'était hier, après à peine 4 jours de psychiatrie. J'étais bien sûr assez angoissé, c'est un centre hospitalier énorme, 13 bâtiments, plus de 500 lits, et rien que se situer était déjà un sacré pari au bout de quelques jours seulement. En bon obsessionnel, j'ai donc photocopié un plan, ai mis un code couleur, les trajets en rose, les pavillons en jaune, et tout ça sous pochette plastique si jamais il se mettait à pleuvoir ! J'avais un passe pour entrer dans les pavillons, une trousse d'urgence, et... le téléphone de garde ! Je l'ai inspecté 20 fois, je me suis même appelé avec mon smartphone pour vérifier que j'entendais bien la sonnerie. C'est marrant comme le stress ça peut faire faire n'importe quoi aux gens. La nuit se passe sans problème, quelques interventions, je m'en sors plutôt bien pour le moment. On m'appelle pour un patient en fin de vie qui a mal, je majore le traitement antalgique. L'infirmière s'excuse de me faire venir en pleine nuit "pour si peu", je lui répond bien sûr qu'il n'y a pas de souci, que je me sens très concerné par les prises en charge palliatives qui sont du soin à part entière, et que ça vaut pour toutes les prochaines fois où je serai en garde.

Puis on m'appelle pour une admission, un petit papy de 91 ans quand même, étiqueté bipolaire (vous savez les gens qui ont l'humeur changeante, ils passent de très déprimés à complètement euphoriques). Son médecin traitant, appelé dans la nuit,  l'envoie en hospitalisation parce qu'il le trouve déprimé, probablement déshydraté et se laissant aller. Les infirmiers me disent c'est bon on lui a déjà fait boire un litre et il a une perfusion de glucosé. Ouais. Sauf qu'en lisant les résultats de la biologie, et en examinant le patient, il est pas du tout déshydraté. A le remplir comme ça, on va lui augmenter son compartiment sanguin, et avec un cœur de 91 ans et des valves qui fuient, ça va pas le faire du tout... On va le mettre en insuffisance cardiaque, et ça va finir en œdème aigu du poumon cette histoire. On lui prend sa tension. 158/90. 4 points de plus que chez le médecin il y a 2 heures. Arrêtez tout, virez la perf. Surveillance tensionnelle toutes les heures. Pfiuuu. Bon. Calme, calme, calme. Ça sert un petit stage de réanimation il y a quelques mois, on oublie plus les trucs de base. Vient le temps de l'entretien. On discute. Il vit seul, il a perdu sa femme, il a perdu ses 2 enfants, il a perdu tous ses amis. Il lui reste une nièce, de 77 ans. "Oh elle est âgée vous savez". Moui, enfin c'est une petite jeunette comparé à lui ! C'est le problème du très grand âge, on est le survivant de sa cohorte, le sommet de la pyramide. Il y a la solitude, et le poids des drames successifs de toutes ces disparitions qui se sont accumulées. "Vous arrivez à prendre plaisir dans les choses de la vie ? Vous mangez bien ? Vous vous promenez ? Vous avez des visites ?". Oui, il aime encore bien manger, regarder passer les saisons. Il arrive à faire seul sa toilette. On lui apporte les repas. Moi je ne le trouve pas déprimé. Un peu las, peut être, bien sûr. Bon, il est chez nous, il est 23h, on ne va pas le renvoyer hein. Je lui explique qu'on va le garder quelques temps pour qu'il se retape un peu chez nous. Mais pas longtemps, parce que moi je trouve qu'il va plutôt pas mal du tout. Il est d'accord. Je retourne dans ma chambre de garde, je ne serai plus appelé de la nuit. Une garde assez tranquille pour ma première fois, je remercie ma bonne étoile.

Le matin, je me lève, il est temps de passer le téléphone à mon collègue qui prend la suite. Ça y est, c'est passé, et je n'ai tué personne. Je me remémore mon petit papy de 91 ans, et je me dis que moi aussi, je suis un survivant !