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"Ca y est, c'est choisi : Ce sera Psychiatrie !"
Je commence ce blog pour raconter mes aventures hospitalières
pendant les quatre années de ce parcours d'interne
jusqu'au diplôme de médecin psychiatre...
























samedi 13 décembre 2014

Ne pas se fier aux apparences

4ème garde. La dernière, c'était 6 admissions de suite, j'espère que celle ci sera plus tranquille. Je vais chercher la clé de la chambre de garde pour aller poser mes affaires.

Et ça loupe pas, 1er appel : Admission d'un type de 40 ans en provenance des urgences, d'accord, il vient pour quoi ? Sevrage aux opiacés. Aïe. Ça j'en ai pas encore fait des sevrages aux opiacés. En gros c'est l'héroïne. Et quand on s'arrête d'en prendre il parait que 24h plus tard on tuerait son père et sa mère pour en avoir un gramme tellement ça fait mal partout. Bon, je pose mes affaires, j'ouvre rapidos un bouquin, je relis le traitement.... Ok, y a des crampes musculaires, des douleurs abdominales, faut mettre du Spasfon. Sinon c'est sensiblement les mêmes médocs que pour le sevrage alcoolique. On peut monter jusqu'à un neuroleptique sédatif à faibles doses. Noté. 5 minutes plus tard, bonjour monsieur qu'est ce qui vous amène chez nous ? Je veux arrêter l'héroïne. J'ai une femme superbe et que j'aime, j'ai 3 enfants qui vont bien et que j'adore, j'ai un boulot, j'ai une maison. Tout va bien, y a que moi qui déconne. Tiens, c'est pas le profil habituel de l'usager de drogues (on dit comme ça en médecine. On a pleins de petits noms qui font scientifique et qui sont froidement descriptifs, pour éviter les jugements de valeur. Exemple, l'alcoolo c'est OH+, ou s'il est fin murgé on dit qu'il vient pour exogénose, et les toxicos sont des usagers de drogue. C'est comme vous et moi, usagers de transports en commun, sauf que là eux, c'est de drogue :). Bon. On discute. Y a souvent une très grosse culpabilité chez ces patients. C'est pas agréable pour eux de raconter leur dépendance, leur descente aux enfers. Mais il me faut quelques réponses pour adapter le traitement de sevrage à son cas particulier. Après je me demande pourquoi il bouffe de l'héroïne celui là, alors qu'il a l'air d'avoir une belle capacité au bonheur. Pas le temps de creuser beaucoup, je suis en garde, je connais pas le bonhomme. C'est déjà sacrément intrusif ce que je lui ai demandé. Ça se passe bien, il se détend, je lui explique que si malgré tout ce que j'ai mis il est encore pas bien, nerveux, algique... Il y a de la marge, il demande aux infirmières, j'ai prescrit un coussin de sécurité au cas où. L'entretien se termine. "Merci docteur, vous êtes un gars cool". Alors ça, je l'entend quand j'ai réussi à ne rien montrer du tout de mes sentiments de pitié, ou de colère, que je peux parfois ressentir quand on me raconte des histoires de drogués. Je suis content, c'est ma récompense, ça veut dire que j'ai bien bossé. Hop, bon courage monsieur, parce que ça va pas être une partie de plaisir...

Dring dring, ça sonne. Un patient s'est cassé la figure au pavillon des handicapés. J'y suis allé une fois là bas, c'est la cour des miracles, le vol au dessus d'un nid de coucou. Les patients ont des tronches de film d'horreur, les corps sont abîmés, recroquevillés sur des fauteuils roulants. Ils ne parlent pas, ils émettent des râles, parfois ils crient. Ce sont des patients très lourds, c'est un sacerdoce de bosser la dedans je trouve. J'arrive en plein milieu du repas du soir. Bavettes, nourriture en purée à la petite cuillère. Comme des mômes. Ah docteur, je vous montre. Aïe. Une énorme plaie de 2cm sur 3 juste sous l'oeil, au sommet de la pommette. Les chairs sont explosés. Je sais même pas si on peut recoudre, et si près de l'oeil...Mon dieu, il a l'oeil tout blanc, j'avais pas vu. Et l'autre aussi. Et les mains attachées. C'est pas possible, mais quelle existence il a ce pauvre type. Il est aveugle ? "Oui oui. Il est gentil d'habitude, mais là il s’est agité quand on lui a détaché une main et il s’est cogné au fauteuil ". Bon, ça dépasse mes compétences de suture ça. Hop, aux urgences. Je téléphone pour avoir l'ambulance, je rédige un courrier pour mes collègues qui vont le prendre en charge. Vaccin antitétanique à prévoir. Voilà, on attend l'ambulance. C'est pas trop dur de travailler ici ?" Non, on a choisi, C'est sûr c'est impressionnant au début, après on s'habitue. Et puis ils sont attachants." Eh ben... Moi je dis que ce sont celles là qu'il faut payer 5000 euros le mois ! L'ambulance est là, je sors avec le patient et les ambulanciers quand le téléphone sonne à nouveau...

"Allo, on a un problème avec un patient rebelle en UMD, vous pouvez venir ?" J'arrive. UMD = Unité de Malades Difficiles. Conditions de sécurité maximum pour des patients qui sont soit incarcérés pour une peine de prison, soit déclarés irresponsables suite à des crimes et délits, soit tout simplement ingérables en service de soins psychiatriques conventionnels. Je sonne. 1er sas. Loge du gardien. Bonjour, je vais au bâtiment machin. 2ème sas. Grille électrique de 5 mètres de haut. Poste de sécurité. 3 types plus grands que moi (je fais 1m87 quand même hein...) m'escortent. Arrivée au bâtiment. sonnette. 3ème sas. 4ème sas. Arf, on y est. Ambiance virile : 3 infirmiers barbus, genre rugbyman à qui on aurait enfilé une blouse blanche, les 3 costauds de la sécurité, et moi. On va voir le patient. "Vous voulez voir le dossier Doc ?" Nan, j'aime bien me faire une idée avant d'avoir lu toutes les horreurs que le type a faites, sinon je suis plus neutre du tout, et parfois même agressif. Un black, la vingtaine, en marcel blanc, des biscoteaux comme mes cuisses, et une gueule d'amour à tourner dans une série américaine, sourire aux lèvres et dents d'un blanc éclatant. Celui là, il a la fille qu'il veut quand il veut. Alors Mr Biiiiiiiiip (anonymat hein), il se passe quoi ? Là, c'est confus, une histoire à dormir debout, le gardien lui aurait manqué de respect, et patati et patata. Ouais. Mais vous êtes un grand garçon hein, vous n'allez pas jouer les victimes ? "Docteur, j'ai été violé et battu quand j'étais petit, depuis je supporte pas qu'on me touche, ou qu'on me manque de respect". Tous les infirmiers se marrent. Ah bon. Je fais mon petit discours moralisateur. Vous êtes un grand garçon maintenant, et vous allez faire des efforts pour que ça se passe bien. Comme moi aussi je suis un grand garçon, je ne vous prescris pas la piquouse de Loxapac (vous savez, la massue du psychiatre là) et vous vous calmez tout seul. Et ne me faites pas revenir. Ok doc, merci doc, j'le ferai plus doc. Les infirmiers s'excusent de m'avoir dérangé pour si peu, mais ils 'ont des consignes', quand ça barde, faut qu'un toubib passe voir le patient. Pas de souci. Ah, et laissez moi le bureau 2 minutes, maintenant je veux bien lire le dossier. Violeur multirécidiviste, 3 condamnations. Il les cognait en plus.

Il est 20 heures, je vais manger, des tomates farcies dans un tup, réchauffées au micro-ondes. Je reviens à ma chambre de garde, et là, plus aucun appel de la soirée et de la nuit. C'est la grande loterie en garde, parfois on finit la nuit en rampant, parfois on est payés à rien foutre.

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