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"Ca y est, c'est choisi : Ce sera Psychiatrie !"
Je commence ce blog pour raconter mes aventures hospitalières
pendant les quatre années de ce parcours d'interne
jusqu'au diplôme de médecin psychiatre...
























samedi 6 décembre 2014

Dieu et les autres...

3ème garde. Cette fois ci ma bonne étoile a estimé que j'étais chaud-bouillant, prêt à gérer le tout venant, et du coup elle m'a envoyé 6 admissions dans 4 pavillons différents. Le tout en une heure, le téléphone n'arrêtait pas de sonner. Evidemment ça aurait été trop facile comme ça donc il a fallu sandwicher avec d'autres coups de fil pour des pépins dans les services, maux de tête, maux de ventre, vomissements et autres diarrhées. 
Au menu tout d'abord :

Les dépressifs. Une dame la quarantaine, clouée dans un fauteuil depuis un accident du travail il y a 6 ans, une chute gravissime. "Aujourd'hui, j'ai voulu me tuer, j'avais le couteau dans la main, et j'ai pensé à ma fille. Elle a 16 ans et elle fait comme sa mère, elle se scarifie et il y a une semaine elle a tenté de se suicider." Je vous passe la suite de l'entretien : C'est du Zola. Bon, vous allez faire une pause ici, vous allez vous retaper, et puis on va mettre en place un suivi psychologique pour votre fille parce que là c'est impossible de vous en occuper dans votre état. Elle me regarde complètement indifférente, comme sonnée. J'appuie là ou il faut : "Vous dites que vous n'êtes pas une bonne mère, mais aujourd'hui, vous pouviez être très égoïste, et vous en aller en la laissant là, toute seule. Vous avez choisi de ne pas le faire. Vous avez choisi de rester pour elle. Ça c'est une bonne mère, même si pour le moment votre situation personnelle ne vous permet pas de l'aider plus". Hop, hop, hop, changement de pavillon, viiiiite, y en a encore 5 à voir ! Un ex taulard tatoué des mains jusqu'aux épaules, puant la bière, envoyé des urgences sans même un bilan sanguin. Bon, il a l'air bien là mais qui sait ce qu'il a pris avant. Il va peut être piquer du nez dans la nuit et on le retrouvera tout raide et tout blanc demain matin. Prise de sang, recherche de toxiques, mise à l'isolement tant qu'il est encore amoureux des infirmières et avant qu'il ne décuve et ne devienne agressif...

Les délirants. Ce monsieur me salue comme un ministre, tout sourire. Il annonce à qui veut l'entendre la venue prochaine de notre Seigneur. Vous n'avez pas vu les signes ? Les inondations, la guerre en Syrie, la sonde sur la météorite, etc. Même le curé de la paroisse l'a trouvé un peu zinzin, c'est dire. Ouais. Examinons un peu la dangerosité. Et si on vous empêche ? Et si Dieu vous commande de faire autre chose ? Et si le Diable apparaît ? Vous avez peur du Diable ? Non, non, non. "Vous voyez, je ne suis pas méchant". Ah ben je suis arrivé à la même conclusion. Calme, bienheureux presque, pas bien méchant le prophète. Seul hic, les comprimés antipsychotiques. "Ah non ! Je ne les prendrai plus parce qu'ils m'empêchent d'entendre Dieu". Eh ben voilà au moins un traitement dont on sait qu'il fonctionne ! On va passer tout ça en gouttes et lui proposer une bonne tisane. Je sais c'est un peu vicieux (parfois c'est le Diable qui m'inspire) mais pensez à sa femme, ses frères, ses enfants, ses petits enfants, tout ce monde qui le trouvait vachement mieux avant et qui est très inquiet. Après lui je vois un ancien chef d'entreprise, la cinquantaine, cheveux hirsutes, qui me raconte une obscure histoire de titre de noblesse qu'on lui aurait volé (je dois m'adresser à lui en lui disant 'Monsieur le Comte'... Sans vouloir vous commander doc' hein). Un château, un vol de chevaux dans sa propriété, une guerre avec le Duc d'à côté. Ouais ouais ouais. Monsieur, vous savez en quelle année nous sommes ? Eueuh, en 2014 ! C'est ça, et vous croyez qu'en 2014, on est au temps des chevaliers, des châteaux forts, des guerres à cheval ? Eueuh, non. Mais c’était dans une autre vie docteur !! Ah, voilà je comprends mieux ! Zou, Loxapac pour ce soir parce que Monsieur le Comte est bien parti pour mettre le service à feu et à sang avec son épée, et on va augmenter le Risperdal gentiment sur le weekend. Visiblement, la dose initiale ne suffisait pas.

Les angoissés. Un type la soixantaine ramené par sa femme en voiture qui l'a largué devant le pavillon sans passer par les urgences, sans coup de fil préalable.  Elle aurait juste lâché un "J'en peux plus, je vais le tuer", puis est repartie, son colis livré. Bonjour monsieur, qu'est ce qui vous amène chez nous ? Il noue un mouchoir sans relâche avec ses mains, a les sourcils tombants de Droopy et de temps en temps respire bruyamment, soupire, s'interrompt. Il est angoissé, horriblement angoissé. Il ne sait pas pourquoi. Mais alors quelle forme ça prend cette angoisse... Il prend la voiture ? Il se dit qu'il va se planter dans un arbre. Il veut faire des courses ? Il se dit que des factures imprévues vont arriver et qu'il n'aura plus assez d'argent pour les payer. Il veut inviter des amis à dîner ? Il se dit qu'ils vont s'étouffer avec la nourriture et repartir les pieds devant. Docteur, mais qu'est ce qui m'arrive, je ne peux plus rien faire !! Je précise un peu le mécanisme. D'accord, ce sont des idées de ruine, de mort, qui s'imposent à lui et tournent dans sa tête. Ça ressemble à un trouble anxieux généralisé mais avec une composante compulsive très marquée. Je l'interroge sur sa vie. 3 infarctus en 5 ans. Sa femme a 2 cancers. Leur fille unique a été opérée par cœlioscopie d'un truc banal mais ils ont touché la rate, saignement massif, 4 opérations depuis pour rectifier le tir mais ça va à chaque fois un peu plus mal. Là on comprend mieux. Je prends la parole. Monsieur, vous êtes dans cet état parce que la vie ne vous a pas épargné, vous avez vécu des événements très difficiles, nombreux, dans une période très rapprochée. Là, vous attendez le prochain coup, sans savoir quand et d'où il va venir. C'est votre corps et votre esprit qui se défendent, qui sont en alerte, qui font comme la tortue qui rentre sa tête pour anticiper ce qui pourrait bien arriver à nouveau. Vous aviez déjà tendance à être anxieux étant jeune, et là ça a empiré, c'est devenu une vraie maladie qu'il faut soigner. "Ah d'accord." Son visage s'apaise un peu. C'est dingue l'effet thérapeutique que ça peut avoir quand les gens comprennent pourquoi ils sont dans cet état, et quand ils peuvent nommer leur maladie. Bon là c'est quand même pourri de chez pourri, le pauvre type est tellement stressé qu'il a des diarrhées motrices depuis des jours, il n'a pas dormi depuis 72 heures. Il a déjà des benzos et un antidépresseur, je les laisse. On va taper fort pour qu'il passe un weekend un peu plus tranquille. Zou, Tercian. Un neuroleptique qui devrait agir sur le côté compulsif des idées noires, et qui aux faibles doses où je le prescris ici, est anxiolytique. Je le préviens : Monsieur, je mets des médicaments assez forts parce qu'il faut casser un peu ce cycle infernal dans votre tête. Vous allez sans doute être un peu endormi ce weekend. "Oh qu'importe, pourvu que ça s' arrête". Il lâche son mouchoir, "Docteur, je crois que ça va déjà un peu mieux". Tant mieux, et maintenant reposez-vous, et buvez beaucoup ! (les diarrhées...).

Depuis la dernière garde, je note les noms de tous ces patients dont je fais les admissions. Pour la plupart, je ne les revois pas, ils sont admis dans d'autres services que celui où je travaille la journée. Cela me permet de pouvoir ensuite suivre leur dossier sur le serveur informatique et voir ce qu'ils sont devenus quelques jours plus tard. Comme ça je sais si mes idées de diagnostic ont été infirmées ou confirmées, et si mes traitements ont été modifiés ou reconduits par les psychiatres du service, bien plus expérimentés que moi. Parfois j'avais vu juste, parfois j'ai des surprises. Mais en tout cas, c'est toujours très instructif !

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