Citation

"Ca y est, c'est choisi : Ce sera Psychiatrie !"
Je commence ce blog pour raconter mes aventures hospitalières
pendant les quatre années de ce parcours d'interne
jusqu'au diplôme de médecin psychiatre...
























samedi 8 novembre 2014

Les survivants

Quand on est petit externe en médecine (de la 3ème à la 6ème année d'étude) on pense tout le temps à deux choses : Prendre du galon en étant interne, c’est à dire enfin 'faire' et non plus 'regarder faire'. Et puis on pense aussi à sa première garde. Ah la première garde, tout seul dans son slip. Test ultime : Savoir si on va arriver à être indépendant dans sa prise en charge, si on va 'pouvoir gérer'... Pour moi c'est venu plus vite que je ne le pensais, c'était hier, après à peine 4 jours de psychiatrie. J'étais bien sûr assez angoissé, c'est un centre hospitalier énorme, 13 bâtiments, plus de 500 lits, et rien que se situer était déjà un sacré pari au bout de quelques jours seulement. En bon obsessionnel, j'ai donc photocopié un plan, ai mis un code couleur, les trajets en rose, les pavillons en jaune, et tout ça sous pochette plastique si jamais il se mettait à pleuvoir ! J'avais un passe pour entrer dans les pavillons, une trousse d'urgence, et... le téléphone de garde ! Je l'ai inspecté 20 fois, je me suis même appelé avec mon smartphone pour vérifier que j'entendais bien la sonnerie. C'est marrant comme le stress ça peut faire faire n'importe quoi aux gens. La nuit se passe sans problème, quelques interventions, je m'en sors plutôt bien pour le moment. On m'appelle pour un patient en fin de vie qui a mal, je majore le traitement antalgique. L'infirmière s'excuse de me faire venir en pleine nuit "pour si peu", je lui répond bien sûr qu'il n'y a pas de souci, que je me sens très concerné par les prises en charge palliatives qui sont du soin à part entière, et que ça vaut pour toutes les prochaines fois où je serai en garde.

Puis on m'appelle pour une admission, un petit papy de 91 ans quand même, étiqueté bipolaire (vous savez les gens qui ont l'humeur changeante, ils passent de très déprimés à complètement euphoriques). Son médecin traitant, appelé dans la nuit,  l'envoie en hospitalisation parce qu'il le trouve déprimé, probablement déshydraté et se laissant aller. Les infirmiers me disent c'est bon on lui a déjà fait boire un litre et il a une perfusion de glucosé. Ouais. Sauf qu'en lisant les résultats de la biologie, et en examinant le patient, il est pas du tout déshydraté. A le remplir comme ça, on va lui augmenter son compartiment sanguin, et avec un cœur de 91 ans et des valves qui fuient, ça va pas le faire du tout... On va le mettre en insuffisance cardiaque, et ça va finir en œdème aigu du poumon cette histoire. On lui prend sa tension. 158/90. 4 points de plus que chez le médecin il y a 2 heures. Arrêtez tout, virez la perf. Surveillance tensionnelle toutes les heures. Pfiuuu. Bon. Calme, calme, calme. Ça sert un petit stage de réanimation il y a quelques mois, on oublie plus les trucs de base. Vient le temps de l'entretien. On discute. Il vit seul, il a perdu sa femme, il a perdu ses 2 enfants, il a perdu tous ses amis. Il lui reste une nièce, de 77 ans. "Oh elle est âgée vous savez". Moui, enfin c'est une petite jeunette comparé à lui ! C'est le problème du très grand âge, on est le survivant de sa cohorte, le sommet de la pyramide. Il y a la solitude, et le poids des drames successifs de toutes ces disparitions qui se sont accumulées. "Vous arrivez à prendre plaisir dans les choses de la vie ? Vous mangez bien ? Vous vous promenez ? Vous avez des visites ?". Oui, il aime encore bien manger, regarder passer les saisons. Il arrive à faire seul sa toilette. On lui apporte les repas. Moi je ne le trouve pas déprimé. Un peu las, peut être, bien sûr. Bon, il est chez nous, il est 23h, on ne va pas le renvoyer hein. Je lui explique qu'on va le garder quelques temps pour qu'il se retape un peu chez nous. Mais pas longtemps, parce que moi je trouve qu'il va plutôt pas mal du tout. Il est d'accord. Je retourne dans ma chambre de garde, je ne serai plus appelé de la nuit. Une garde assez tranquille pour ma première fois, je remercie ma bonne étoile.

Le matin, je me lève, il est temps de passer le téléphone à mon collègue qui prend la suite. Ça y est, c'est passé, et je n'ai tué personne. Je me remémore mon petit papy de 91 ans, et je me dis que moi aussi, je suis un survivant !


1 commentaire:

  1. C'est un vrai problème la prise en charge somatique en milieu fermé. Les soignants sont peu "inspirés" par le somatique et l'aspect psy domine beaucoup trop. Comme si l'on recouvrait le corps d'un linge sombre et opaque sous lequel les fonctions vitales n'auraient que "peu" d'importance.
    Ouf. Tu as évité le pire.

    RépondreSupprimer

Respect de l'anonymat et protection du secret professionnel :

- Pas de nom, prénom,
- Pas de référence géographique
- Et bien sûr, restez courtois ! ^^

Tout commentaire contrevenant à ces règles sera systématiquement effacé.