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"Ca y est, c'est choisi : Ce sera Psychiatrie !"
Je commence ce blog pour raconter mes aventures hospitalières
pendant les quatre années de ce parcours d'interne
jusqu'au diplôme de médecin psychiatre...
























samedi 29 novembre 2014

les Geôliers

Le moment de la semaine que je déteste, c'est le vendredi après midi. 

Pourtant ça devrait être un moment sympa, le weekend arrive, mais non... Et voici pourquoi : C'est le moment des permissions du weekend... Pendant quoi, 2-3 heures, on n'est plus psychiatre, on est geôlier.  Il faut savoir qu'une bonne partie de nos patients ne sont pas chez nous de leur plein gré : Leur maladie présente souvent un symptôme qu'on appelle l'anosognosie (vous savez, comme Jacques Chirac) c'est à dire qu'ils ne se sentent pas malades, ils ne reconnaissent pas qu'ils ont des soucis, même quand on leur met tout ça sous le nez. Donc ils sont hospitalisés contre leur gré, on parle d’hospitalisation sous contrainte. Rassurez-vous, il y a un cadre légal très strict pour faire ça, faisant intervenir plusieurs médecins différents, un directeur d'hôpital, un juge, et non, votre belle-mère ne pourra pas vous faire interner abusivement à moins qu'elle n'ai tout ce petit monde dans ses relations du Rotary. Bref, je reviens à mes moutons, la semaine ça va bon gré mal gré, on a souvent leur accord, enfin plutôt ils se sont résolus à leur sort. Comme ils sont pour beaucoup un peu azimuthés avec les traitements ils ne savent pas trop quel jour on est. Et puis l'info commence à se répandre : On est vendredi après midi !!! Effervescence. Comme un banc de poissons qui frétillent. Je veux mon coup de fil ! Je veux une permission ! Laissez moi sortir vous n'avez pas le droit ! Je signe une décharge ! Ça c'est pour le coté 'ouvert'. Le coté fermé c'est pire. Le bureau infirmier communique avec par une fenêtre de verre épais toute en hauteur, mais pas très large. On voit 4 ou 5 visages angoissés qui s'écrasent en escalier contre la vitre. Et ça toque, et ça gratte, et ça vocifère. Et moi, chaque fin de semaine, je me sens super mal. J’évite de regarder cette vitre. Je reçois brièvement dans le bureau ceux qui "craquent" et je ré-explique le projet thérapeutique. Fou ou pas, la perte de liberté est une expérience fortement désagréable. Les murs qui tiennent toute cette pression accumulée pendant la semaine se fissurent tous les vendredi... Alors on négocie, de pied ferme. Cas par cas. Un tel va mieux : On prend le risque, permission de 12 heures. Un autre demande, bafouille, gesticule, verbigère des trucs difficiles à suivre, s'épuise... Non monsieur c'est trop tôt. On console avec la permission de sortir fumer une cigarette plus souvent. On élargit la durée du passage en milieu ouvert. On sent qu'on fait des trucs profondément injustes. "Mais pourquoi lui il sort et pas moi ?? J'en peux plus d’être ici docteur, je vais devenir FOU !!!" Sauf qu'il l'est déjà, et heureusement un peu moins on espère que la semaine d'avant...Allez on tient bon. Cas par cas j'ai dit. Oui. Non. Oui. Non. Euuh, les infs', vous en pensez quoi ? (Toujours demander aux infirmières, ce sont elles qui voient les patients 12 heures par jour, quand nous c'est plutôt 1 ou 2...). Fin de la journée, je dégaine mon porte clés, celui avec les clés du service dessus. Il est orné d'un petit phallus en bois sculpté (j'allais dire en bois bandé). C'est le chef de pôle, mon supérieur, qui me l'a offert de retour de son voyage au Népal. Noooon ? Si, si ! Y a qu'en psychiatrie que vous verrez ce genre de truc arriver ! J'en suis fier comme un coq, imaginez, quand on a lu quelques conneries de Freud sur la symbolique, et votre patron vous offre un truc comme ça...

Je tourne la clé dans la serrure : Je suis dehors, à moi le weekend, à moi la liberté ! Mon sentiment de culpabilité s'estompe un peu quand je me dis que je vais bosser d'arrache pied pour qu'ils puissent tous sortir un jour.... 

Le plus ancien est là depuis presque 10 ans.


1 commentaire:

  1. Intéressant ! Pour ceux qui ne sortent pas, quels changements sont apportés au quotidien du week-end ? Une bouffe spéciale ? Quelques activités spéciales ? L'absence de ceux qui sont sortis est-elle remarquée ? De nouveaux visages parmi le personnel hospitalier ? Ça ne doit pas être facile de marquer une discontinuité pour structurer un peu leur semaine, non ?

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