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"Ca y est, c'est choisi : Ce sera Psychiatrie !"
Je commence ce blog pour raconter mes aventures hospitalières
pendant les quatre années de ce parcours d'interne
jusqu'au diplôme de médecin psychiatre...
























samedi 15 novembre 2014

Voyage, voyage...

On me dit qu'un patient "à nous" va arriver dans l'après midi, un transfert d'un hôpital psychiatrique de Bretagne.

D'abord il faut que je vous dise ce que c'est qu'un patient "à nous". La psychiatrie ça fonctionne par secteur. C'est à dire que si vous, vous dézinguez, vous pétez un câble, vous partez en sucette (ou en live comme on dit en 2014), on regarde votre adresse, parfois aussi la première lettre de votre nom de famille, et on vous envoie dans l'hôpital psychiatrique qui couvre ce secteur. Donc, ce patient à nous arrive, en ambulance. Qu'est ce qu'il foutait en Bretagne alors qu'il n'y habite pas ? On le voit en entretien. La quarantaine, discret, le regard un peu fuyant, très évasif dans ses réponses, presque mystérieux. Au bout d'un moment, on reconstitue les événements : Ce type est allé à un distributeur de billets, a retiré une forte somme en liquide, et, en pleine nuit, a commandé un taxi pour faire quasiment 1000 km et rejoindre Nolwenn Leroy qui lui avait filé un rendez-vous galant. Comment ? Par "des communications confidentielles dont je ne souhaite pas dévoiler la nature". Ouais. On a comme un doute. D'autant plus que Nolwenn Leroy a finalement eu un empêchement, et que notre patient, dépité, a été retrouvé errant quelques jours plus tard. Il avait dormi dehors, enfin bref, la cata. Ça c'est un beau lapin, pas sympa la Nolwenn, je l'imaginais plus cool que ça en la voyant à la télé ! Plus sérieusement, en langage psychiatrique ça s'appelle un "voyage pathologique" et on comprend bien pourquoi...! Dans les antécédents, on s'aperçoit que ce n'est pas tout à fait la première fois, que c'est un habitué des histoires d'amour (ratées) avec des starlettes télévisuelles. D'accord. On interroge le bonhomme, aucune critique de ses actes, l'adhésion à son délire érotomaniaque (c'est quand on croit, à tort, être aimé de quelqu'un) est complète. Faut essayer de le sortir de là quand même, d'autant plus qu'il a un boulot, une femme et deux enfants. On regarde les traitements, et là on voit que c'est déjà la 3ème fois qu'il a rencard avec une pin-up célèbre à l'autre bout de la France depuis qu'on a changé de neuroleptique. C'est donc que celui qu'il avait avant marchait beaucoup mieux...Mais pourquoi diable est ce qu'on avait changé ? Ah voilà, le problème c'est que celui d'avant avait un gros, un très gros effet secondaire : Le patient ne bandait plus. Et ça, pour un mec qui a des délires érotomaniaques, c'est juste pas acceptable. C'est le musicien qui devient sourd ou le sommelier qui a plus droit de boire de l'alcool. Impossible. Du coup, il ne prenait plus son traitement. Je sens qu'on est parti pour une hospitalisation de plusieurs semaines, où il faudra changer encore de neuroleptique, et ça c'est assez long si on veut faire le switch dans les règles de l'art. Et puis bien sûr on aimerait arriver à réduire le délire jusqu'à obtenir du patient qu'il puisse critiquer son geste, et que, peut être, je dis bien peut être, il reconnaisse qu'il n'avait pas vraiment été en communication avec Nolwenn Leroy, mais que tout ça c'était un peu dans sa tête.

Quelques jours plus tard, on le revoit en entretien. On apprend qu'en fait, il communiquait avec Nolwenn Leroy par des vidéos sur Youtube, et que pendant qu'elle était interviewée par des journalistes, elle envoyait des messages codés au patient, avec le lieu et l'heure du rendez-vous secret... L'adhésion au délire se fissure un peu lorsque le patient reconnait que ce voyage était "mal préparé", et qu'il avait "un peu interprété rapidement ce qu'elle disait aux journalistes" et que peut être "ça ne lui était pas adressé, en fin de compte". Le visage se glace parfois, le regard devient triste. C'est pas sympa, vous me direz, de lui faire réaliser qu'il s’est pris un méga râteau. Ça va peut être sauver (jusqu'à la prochaine fois) son mariage et économiser un peu de sous au ménage en frais de taxi, mais ça reste pas sympa. Dur à avaler, même. Quelle déception. Eh ben voilà que notre patient passe de l’exaltation amoureuse au dépit qui confine à la dépression. Faut qu'on y aille cool, sinon on va au devant d'autres problèmes : les idées noires, la pulsion suicidaire. Bon, ça a l'air de lui passer. Il annonce finalement qu'il s’est réconcilié avec sa femme, avec qui aux dernières nouvelles il était en instance de divorce, et il demande une permission le weekend pour aller voir ses enfants. Réconcilié, ah bon ? "Oui, elle m'aime, notre amour est au delà de tout". Hum, hum. Le délire érotomaniaque aurait il changé d'objet ? Bon, il faudra discuter avec sa femme. En attendant on lui file sa permission, il est calme, présentable pour ses mouflets, qui ont certainement besoin de voir leur papa disparu depuis maintenant 3 semaines...

Je m'offre un moment de détente, et visionne quelques vidéos de Nolwenn Leroy sur internet. J'ai les mots d'un de mes potes qui viennent tout seul dans ma tête : "T'as bon goût mon cochon !!"


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