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"Ca y est, c'est choisi : Ce sera Psychiatrie !"
Je commence ce blog pour raconter mes aventures hospitalières
pendant les quatre années de ce parcours d'interne
jusqu'au diplôme de médecin psychiatre...
























vendredi 21 novembre 2014

Y tù, tienes cojones ?

2ème garde, beaucoup plus tendue que la précédente. Ça a commencé par 2 admissions à 1 heure d'intervalle avec exactement le même tableau : La misère sociale... Au début c'est la perte d'un emploi, puis une rupture sentimentale, ensuite arrive l'alcool, avec son cortège habituel : perte de volonté, incurie, dépression, lente descente aux enfers... J'ai eu d'abord le mâle, et juste après, la femelle. Même espèce, mêmes gueules, même teint de peau grisâtre, coupes hirsutes, yeux jaunes, sans-dents comme dirait l'autre.. .L'enjeu c'est toujours qu'ils acceptent l'hospitalisation. J'y vais cool, j’écoute l'histoire de leur vie. Je n'ai pas l'indécence de leur parler de leur consommation d'alcool au 1er entretien, alors qu'on s'connait depuis 10 minutes...Valium pour la prévention du delirium tremens vu que ça va tanguer dans les chaussettes cette nuit, je ne vous cache pas qu'on ne sert pas de mojitos en hôpital psychiatrique...vitamines (les alcooliques sont à peu près toujours carencés) et on verra la suite demain.

Ensuite je suis appelé pour un jeune de 17 ans qui présente une fièvre brutale à 39°. Je vais le voir. Il sue, tremble, est couché en chien de fusil. Je lui demande s'il a mal quelque part, un infirmier me dit qu'il est autiste et qu'il n'a jamais parlé. Je l'examine, je trouve qu'il a des troubles de la vigilance (on me confirme qu'on a d'habitude un contact visuel avec lui, que la je ne retrouve pas). Aïe, et une raideur de la nuque. Bon. Ce serait bien le diable, mais la comme ça je ne peux pas éliminer une méningite. Pour moi c'est un transfert aux urgences. J'ai un peu peur d’être taxé de maximaliste alors j'appelle la PH de garde (ma supérieure) qui confirme. Ok, feu vert. J'appelle aux urgences pour prévenir de l'arrivée du patient, on me passe le médecin, je décline les symptômes...Il se marre. Je lui demande pourquoi ? 39°, c'est pas une méningite. Ah bon, vous pouvez le dire comme çà vous. Ouais,  il faut au moins 40°. Bon, et la raideur de nuque, et le fait qu'il soit complètement apathique ?? Oui bon, on vous le prend...Ben j’espère bien ouais ! C'est ça aussi la médecine, quand on fait son boulot et qu'on est prudent, ça fait du boulot aux autres, et ça cause quelques frictions... Je me suis imposé, je suis content ! Mon patient part aux urgences sur une civière avec un masque de chirurgien...

Je suis encore appelé 3 ou 4 fois dans la nuit pour des mises en isolement ou des prescriptions de Loxapac (la "matraque" du psychiatre...une ampoule en injection et BOOM, ça assomme !) pour des patients très agités qui cassent, tapent contre les murs, hurlent des trucs incompréhensibles....C'est gai parfois la psychiatrie, moi j'vous l'dis !

5h30, je commençais enfin a dormir un peu. Coup de fil de l'unité des personnes âgées. Une petite mamie de 80 ans a une tension à 70/50 et désature à 80% (plus assez d'oxygène dans le sang...). Je fonce sur mon VTT, ah ben v'la qu'il y a un brouillard à couper au couteau, je passe devant l’église gothique de l'hôpital et entend une chouette qui hulule. Bien lugubre tout ça. J'arrive sur place, on me conduit rapidement à la chambre. Aïe aïe aïe. Elle est toute blanche la mamie, on voit ses veines bleues en transparence. Le teint cireux, le regard qui plafonne. Elle est déjà dans les vaps. Elle respire bruyamment. Masque à haute concentration d’oxygène, allez hop, 6 litres cash. Jambes relevées pour ramener du sang vers le tronc et le cerveau. L’infirmière met une voie veineuse et on lui passe du sérum phi, j'appuie sur la perf comme une brute pour que ça passe plus vite. Prise de tension mam'selle s'il vous plait. Oui oui à nouveau. 90/70. On a gagné deux points. La mamie ouvre les yeux, je lui dis que tout va bien (je tousse intérieurement) et qu'il faut qu'elle se concentre sur sa respiration, qui doit être lente mais profonde. Et la sat ? 91%, vive l’oxygène. Ok, maintenant j'ai le temps d'aller lire le dossier et de réfléchir. 80 ans, coeur usé, néoplasie du colon en cours d’évolution, des escarres un peu partout et un traitement à la morphine. Je regarde ses dernières analyses de sang : Tout est dans le rouge. Je repère une hyperkaliémie à 6 (un trouble ionique) rien que ça, ça peut la tuer là tout de suite maintenant. Je demande immédiatement un ECG qui me revient tellement pathologique que je ne sais même plus le lire. Y a des signes d'ischémie, y a des troubles du rythme, y a encore pleins d'autres trucs sans doute... Waw. Et moi j'arrive la dedans. Et j'ai pas les yeux en face des trous. Je réfléchis bien plus lentement je le sens bien. Je l'envoie aux urgences ? Attendez docteur, je crois qu'elle ne souhaite pas être ranimée. Ah bon, et la feuille de directives anticipées est où ? Eueuh dans le dossier papier. On m’amène un truc de 2 kilos et 50 cm de haut rempli de feuilles volantes. Je cherche un peu. Je trouve pas. Je me remémore mes cours d'éthique médicale, notamment sur l'acharnement thérapeutique. Si je l'envoie aux urgences ils sont obligés de l'intuber, la ventiler, corriger tous ses troubles ioniques, et c'est reparti pour quelques jours ou semaines, on ne sait pas. Si je fais rien elle meurt dans la journée. Je connais pas la patiente, je connais pas le dossier, ni le contexte familial. Y a pas de consignes claires. J'ai mal au crâne et les yeux qui voient tout flou. Et là je fais le truc le plus lâche qui soit : Je décide pas. Trouille de faire une connerie irrattrapable qui viendra hanter mes nuits. Hop, Je suspend la prescription de morphine de 8h du matin et les diffu-k sinon ça finirait le boulot très vite... Et je laisse tout en plan. Là elle est plutôt calme, et avec ce que j'ai fait elle sera encore en vie à 9h quand le médecin du service arrivera, il prendra lui même la décision. Je demande quand même à me faire rappeler si la situation se dégrade à nouveau. Il est 6h15, je me rendors, non sans mal...

Le lendemain, on m'informe que mon jeune patient n'avait pas de méningite. Pfiuuuu, tant mieux pour lui ! Et puis plus tard j'apprends que ma mamie est décédée à 19h. Avec l'accord de son fils, ils ont remis la morphine, et ils ne l'ont pas transférée aux urgences...


1 commentaire:

  1. Comme quoi refuser de décider peut s'avérer une excellente décision. :)
    - JY -

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