Citation

"Ca y est, c'est choisi : Ce sera Psychiatrie !"
Je commence ce blog pour raconter mes aventures hospitalières
pendant les quatre années de ce parcours d'interne
jusqu'au diplôme de médecin psychiatre...
























samedi 29 novembre 2014

Demandeuse d'Asile


Docteur Azimuth ? (On m'appelle docteur toute la journée, j'en reviens toujours pas) vous pouvez aller au pavillon machin ? Il y a une dame albanaise qui est arrivée en urgence cette nuit, elle ne parle pas français, et là son fils est venu la voir, il peut traduire. Ok, je prends !

Bonjour, installez vous. Racontez moi un peu pourquoi vous êtes là. C'est donc une dame de 45 ans environ, qui se tient très droite, très digne, habillée en couleurs sombres, les cheveux relevés en chignon. Son apparence sévère tranche avec un sourire poli et ennuyé, comme si elle pensait déranger. Son fils, 19 ans, traduit les propos échangés. Lui, il est tout sourire. Oui elle entend des voix, oui elle est angoissée, oui elle se sent déprimée,  oui elle veut se suicider.... Oui à tout en fait. Hum. Puis, elle fait une grande phrase de 30 secondes dans un seul souffle. Le fils traduit : elle a une schizophrénie depuis qu'elle est jeune et on l'a traitée avec du Haldol, un neuroleptique puissant, là bas en Albanie. Ah. Bon ben on va remettre du Haldol alors, si elle est schizophrène. Au moment de valider l'ordonnance sur l'ordinateur, j'ai une vieille démangeaison qui me prend dans le cerveau. Si je fais ça c'est parce que je crois ce qu'on me dit. Ça c'est un peu moi, je pars du principe que les gens sont honnêtes, ne mentent pas, et je crois ce qu'on me dit. Le hic, c'est que moi perso, du haut de ma mini expérience en psychiatrie, je n'ai vu aucun signe de schizophrénie. Le contact est normal, adapté, poli même. Bon, elle a l'air angoissée, ça oui. Dépressive ? Peut être, c'est à préciser. En fait, plus j'y réfléchis, plus j'ai un gros doute. Ok. Je peux pas prescrire ça, ça n'a pas de sens. Je change le Haldol pour une benzodiazépine qui va diminuer son anxiété, et je vais réfléchir à tout ça. Je me renseigne un peu, et finit par trouver le numéro de téléphone de l'endroit où vit la famille : C'est en fait un centre de demandeurs d'asile. La travailleuse sociale que j'ai au bout du fil joue franc jeu. Oui la "crise" de la mère coïncide avec le moment où ils ont appris que la demande d 'asile a été refusée. Non elle allait très bien avant, aucun trouble délirant, ou de comportement. Pas de Haldol non plus dans les 6 mois où la famille était en France, et ce malgré 3 rendez-vous chez le médecin généraliste qui les suivait ici. Et oui, si une nouvelle donnée survient comme par exemple une maladie chronique exigeant des soins continus, eh bien on peut refaire une nouvelle demande d'asile. D'accord, je comprends mieux. Je sens que ce soir je vais me coucher moins con et moins naïf. Faut quand même être salement motivé et acculé pour accepter de manger du Haldol quand on est pas schizophrène !! Bon et maintenant je fais quoi moi ? Je la fous dehors parce qu'elle s'est foutue de moi ? Je lui file son Haldol pour que la famille puisse rester en France ? Je me rappelle la phrase de Michel Rocard : "On ne peut pas accepter chez nous toute la misère du monde". C'est complètement vrai. Et tellement facile quand on est né du bon côté de la frontière... Allez, je vais faire ce que d'habitude je fais pas trop mal  : Couper la poire en deux. Le lendemain, je reçois à nouveau la mère et son fils. Je joue cartes sur table. J'ai appelé au centre des demandeurs d'asile et je sais tout. Il n'y a pas de schizophrénie. La mère se met à pleurer. Le fils aussi. Je tend un paquet de mouchoirs et je leur dit ce que je leur propose. Je vais garder la mère quelques jours pour un syndrome anxio-dépressif qui me semble bien réel, et même si le risque suicidaire n'est pas avéré. Je ferai un courrier à la fin qui recommandera un suivi bi-mensuel en ambulatoire pour une psychothérapie de soutien. Je ne nie pas que la situation précaire dans laquelle ils se trouvent est fortement stressante et a pu engendrer ces troubles. Mais pour la schizophrénie, c'est niet. Après, libre à eux de se servir de ce compte rendu d 'hospitalisation. A mon avis ça ne suffira pas, tout au plus auront-ils un nouveau délai. Éthiquement, c'est la limite que je me suis posée, je sens que si je vais plus loin parce que je les trouve sympas et ai pitié d'eux, je vais passer dans la catégorie des médecins complaisants, qui sur-diagnostiquent pour des raisons politiques, ou même par choix humain. Moi je ne peux pas, je m’arrête ici. Au bout de quelques jours la mère va mieux, l’équipe soignante me dit que les insomnies ont disparu et en entretien, elle sourit, ne tord plus ses mains, me regarde bien dans les yeux. Je fais le fameux courrier, sans forcer le trait, mais en restant descriptif et surtout exhaustif sur les troubles constatés.

Nous nous levons. Je remets l'enveloppe, et leur serre la main à tous les deux en leur souhaitant bonne chance. Je culpabilise un peu, je ne sais pas si je pouvais faire un autre choix que celui que j'ai fait. C'est une décision à mi chemin entre la bienveillance pour autrui que mon éducation m'a donnée, et la rigueur que je souhaite avoir dans mon métier. Je les regarde s’éloigner, la mère au bras de son fiston.



les Geôliers

Le moment de la semaine que je déteste, c'est le vendredi après midi. 

Pourtant ça devrait être un moment sympa, le weekend arrive, mais non... Et voici pourquoi : C'est le moment des permissions du weekend... Pendant quoi, 2-3 heures, on n'est plus psychiatre, on est geôlier.  Il faut savoir qu'une bonne partie de nos patients ne sont pas chez nous de leur plein gré : Leur maladie présente souvent un symptôme qu'on appelle l'anosognosie (vous savez, comme Jacques Chirac) c'est à dire qu'ils ne se sentent pas malades, ils ne reconnaissent pas qu'ils ont des soucis, même quand on leur met tout ça sous le nez. Donc ils sont hospitalisés contre leur gré, on parle d’hospitalisation sous contrainte. Rassurez-vous, il y a un cadre légal très strict pour faire ça, faisant intervenir plusieurs médecins différents, un directeur d'hôpital, un juge, et non, votre belle-mère ne pourra pas vous faire interner abusivement à moins qu'elle n'ai tout ce petit monde dans ses relations du Rotary. Bref, je reviens à mes moutons, la semaine ça va bon gré mal gré, on a souvent leur accord, enfin plutôt ils se sont résolus à leur sort. Comme ils sont pour beaucoup un peu azimuthés avec les traitements ils ne savent pas trop quel jour on est. Et puis l'info commence à se répandre : On est vendredi après midi !!! Effervescence. Comme un banc de poissons qui frétillent. Je veux mon coup de fil ! Je veux une permission ! Laissez moi sortir vous n'avez pas le droit ! Je signe une décharge ! Ça c'est pour le coté 'ouvert'. Le coté fermé c'est pire. Le bureau infirmier communique avec par une fenêtre de verre épais toute en hauteur, mais pas très large. On voit 4 ou 5 visages angoissés qui s'écrasent en escalier contre la vitre. Et ça toque, et ça gratte, et ça vocifère. Et moi, chaque fin de semaine, je me sens super mal. J’évite de regarder cette vitre. Je reçois brièvement dans le bureau ceux qui "craquent" et je ré-explique le projet thérapeutique. Fou ou pas, la perte de liberté est une expérience fortement désagréable. Les murs qui tiennent toute cette pression accumulée pendant la semaine se fissurent tous les vendredi... Alors on négocie, de pied ferme. Cas par cas. Un tel va mieux : On prend le risque, permission de 12 heures. Un autre demande, bafouille, gesticule, verbigère des trucs difficiles à suivre, s'épuise... Non monsieur c'est trop tôt. On console avec la permission de sortir fumer une cigarette plus souvent. On élargit la durée du passage en milieu ouvert. On sent qu'on fait des trucs profondément injustes. "Mais pourquoi lui il sort et pas moi ?? J'en peux plus d’être ici docteur, je vais devenir FOU !!!" Sauf qu'il l'est déjà, et heureusement un peu moins on espère que la semaine d'avant...Allez on tient bon. Cas par cas j'ai dit. Oui. Non. Oui. Non. Euuh, les infs', vous en pensez quoi ? (Toujours demander aux infirmières, ce sont elles qui voient les patients 12 heures par jour, quand nous c'est plutôt 1 ou 2...). Fin de la journée, je dégaine mon porte clés, celui avec les clés du service dessus. Il est orné d'un petit phallus en bois sculpté (j'allais dire en bois bandé). C'est le chef de pôle, mon supérieur, qui me l'a offert de retour de son voyage au Népal. Noooon ? Si, si ! Y a qu'en psychiatrie que vous verrez ce genre de truc arriver ! J'en suis fier comme un coq, imaginez, quand on a lu quelques conneries de Freud sur la symbolique, et votre patron vous offre un truc comme ça...

Je tourne la clé dans la serrure : Je suis dehors, à moi le weekend, à moi la liberté ! Mon sentiment de culpabilité s'estompe un peu quand je me dis que je vais bosser d'arrache pied pour qu'ils puissent tous sortir un jour.... 

Le plus ancien est là depuis presque 10 ans.


vendredi 21 novembre 2014

Y tù, tienes cojones ?

2ème garde, beaucoup plus tendue que la précédente. Ça a commencé par 2 admissions à 1 heure d'intervalle avec exactement le même tableau : La misère sociale... Au début c'est la perte d'un emploi, puis une rupture sentimentale, ensuite arrive l'alcool, avec son cortège habituel : perte de volonté, incurie, dépression, lente descente aux enfers... J'ai eu d'abord le mâle, et juste après, la femelle. Même espèce, mêmes gueules, même teint de peau grisâtre, coupes hirsutes, yeux jaunes, sans-dents comme dirait l'autre.. .L'enjeu c'est toujours qu'ils acceptent l'hospitalisation. J'y vais cool, j’écoute l'histoire de leur vie. Je n'ai pas l'indécence de leur parler de leur consommation d'alcool au 1er entretien, alors qu'on s'connait depuis 10 minutes...Valium pour la prévention du delirium tremens vu que ça va tanguer dans les chaussettes cette nuit, je ne vous cache pas qu'on ne sert pas de mojitos en hôpital psychiatrique...vitamines (les alcooliques sont à peu près toujours carencés) et on verra la suite demain.

Ensuite je suis appelé pour un jeune de 17 ans qui présente une fièvre brutale à 39°. Je vais le voir. Il sue, tremble, est couché en chien de fusil. Je lui demande s'il a mal quelque part, un infirmier me dit qu'il est autiste et qu'il n'a jamais parlé. Je l'examine, je trouve qu'il a des troubles de la vigilance (on me confirme qu'on a d'habitude un contact visuel avec lui, que la je ne retrouve pas). Aïe, et une raideur de la nuque. Bon. Ce serait bien le diable, mais la comme ça je ne peux pas éliminer une méningite. Pour moi c'est un transfert aux urgences. J'ai un peu peur d’être taxé de maximaliste alors j'appelle la PH de garde (ma supérieure) qui confirme. Ok, feu vert. J'appelle aux urgences pour prévenir de l'arrivée du patient, on me passe le médecin, je décline les symptômes...Il se marre. Je lui demande pourquoi ? 39°, c'est pas une méningite. Ah bon, vous pouvez le dire comme çà vous. Ouais,  il faut au moins 40°. Bon, et la raideur de nuque, et le fait qu'il soit complètement apathique ?? Oui bon, on vous le prend...Ben j’espère bien ouais ! C'est ça aussi la médecine, quand on fait son boulot et qu'on est prudent, ça fait du boulot aux autres, et ça cause quelques frictions... Je me suis imposé, je suis content ! Mon patient part aux urgences sur une civière avec un masque de chirurgien...

Je suis encore appelé 3 ou 4 fois dans la nuit pour des mises en isolement ou des prescriptions de Loxapac (la "matraque" du psychiatre...une ampoule en injection et BOOM, ça assomme !) pour des patients très agités qui cassent, tapent contre les murs, hurlent des trucs incompréhensibles....C'est gai parfois la psychiatrie, moi j'vous l'dis !

5h30, je commençais enfin a dormir un peu. Coup de fil de l'unité des personnes âgées. Une petite mamie de 80 ans a une tension à 70/50 et désature à 80% (plus assez d'oxygène dans le sang...). Je fonce sur mon VTT, ah ben v'la qu'il y a un brouillard à couper au couteau, je passe devant l’église gothique de l'hôpital et entend une chouette qui hulule. Bien lugubre tout ça. J'arrive sur place, on me conduit rapidement à la chambre. Aïe aïe aïe. Elle est toute blanche la mamie, on voit ses veines bleues en transparence. Le teint cireux, le regard qui plafonne. Elle est déjà dans les vaps. Elle respire bruyamment. Masque à haute concentration d’oxygène, allez hop, 6 litres cash. Jambes relevées pour ramener du sang vers le tronc et le cerveau. L’infirmière met une voie veineuse et on lui passe du sérum phi, j'appuie sur la perf comme une brute pour que ça passe plus vite. Prise de tension mam'selle s'il vous plait. Oui oui à nouveau. 90/70. On a gagné deux points. La mamie ouvre les yeux, je lui dis que tout va bien (je tousse intérieurement) et qu'il faut qu'elle se concentre sur sa respiration, qui doit être lente mais profonde. Et la sat ? 91%, vive l’oxygène. Ok, maintenant j'ai le temps d'aller lire le dossier et de réfléchir. 80 ans, coeur usé, néoplasie du colon en cours d’évolution, des escarres un peu partout et un traitement à la morphine. Je regarde ses dernières analyses de sang : Tout est dans le rouge. Je repère une hyperkaliémie à 6 (un trouble ionique) rien que ça, ça peut la tuer là tout de suite maintenant. Je demande immédiatement un ECG qui me revient tellement pathologique que je ne sais même plus le lire. Y a des signes d'ischémie, y a des troubles du rythme, y a encore pleins d'autres trucs sans doute... Waw. Et moi j'arrive la dedans. Et j'ai pas les yeux en face des trous. Je réfléchis bien plus lentement je le sens bien. Je l'envoie aux urgences ? Attendez docteur, je crois qu'elle ne souhaite pas être ranimée. Ah bon, et la feuille de directives anticipées est où ? Eueuh dans le dossier papier. On m’amène un truc de 2 kilos et 50 cm de haut rempli de feuilles volantes. Je cherche un peu. Je trouve pas. Je me remémore mes cours d'éthique médicale, notamment sur l'acharnement thérapeutique. Si je l'envoie aux urgences ils sont obligés de l'intuber, la ventiler, corriger tous ses troubles ioniques, et c'est reparti pour quelques jours ou semaines, on ne sait pas. Si je fais rien elle meurt dans la journée. Je connais pas la patiente, je connais pas le dossier, ni le contexte familial. Y a pas de consignes claires. J'ai mal au crâne et les yeux qui voient tout flou. Et là je fais le truc le plus lâche qui soit : Je décide pas. Trouille de faire une connerie irrattrapable qui viendra hanter mes nuits. Hop, Je suspend la prescription de morphine de 8h du matin et les diffu-k sinon ça finirait le boulot très vite... Et je laisse tout en plan. Là elle est plutôt calme, et avec ce que j'ai fait elle sera encore en vie à 9h quand le médecin du service arrivera, il prendra lui même la décision. Je demande quand même à me faire rappeler si la situation se dégrade à nouveau. Il est 6h15, je me rendors, non sans mal...

Le lendemain, on m'informe que mon jeune patient n'avait pas de méningite. Pfiuuuu, tant mieux pour lui ! Et puis plus tard j'apprends que ma mamie est décédée à 19h. Avec l'accord de son fils, ils ont remis la morphine, et ils ne l'ont pas transférée aux urgences...


samedi 15 novembre 2014

Voyage, voyage...

On me dit qu'un patient "à nous" va arriver dans l'après midi, un transfert d'un hôpital psychiatrique de Bretagne.

D'abord il faut que je vous dise ce que c'est qu'un patient "à nous". La psychiatrie ça fonctionne par secteur. C'est à dire que si vous, vous dézinguez, vous pétez un câble, vous partez en sucette (ou en live comme on dit en 2014), on regarde votre adresse, parfois aussi la première lettre de votre nom de famille, et on vous envoie dans l'hôpital psychiatrique qui couvre ce secteur. Donc, ce patient à nous arrive, en ambulance. Qu'est ce qu'il foutait en Bretagne alors qu'il n'y habite pas ? On le voit en entretien. La quarantaine, discret, le regard un peu fuyant, très évasif dans ses réponses, presque mystérieux. Au bout d'un moment, on reconstitue les événements : Ce type est allé à un distributeur de billets, a retiré une forte somme en liquide, et, en pleine nuit, a commandé un taxi pour faire quasiment 1000 km et rejoindre Nolwenn Leroy qui lui avait filé un rendez-vous galant. Comment ? Par "des communications confidentielles dont je ne souhaite pas dévoiler la nature". Ouais. On a comme un doute. D'autant plus que Nolwenn Leroy a finalement eu un empêchement, et que notre patient, dépité, a été retrouvé errant quelques jours plus tard. Il avait dormi dehors, enfin bref, la cata. Ça c'est un beau lapin, pas sympa la Nolwenn, je l'imaginais plus cool que ça en la voyant à la télé ! Plus sérieusement, en langage psychiatrique ça s'appelle un "voyage pathologique" et on comprend bien pourquoi...! Dans les antécédents, on s'aperçoit que ce n'est pas tout à fait la première fois, que c'est un habitué des histoires d'amour (ratées) avec des starlettes télévisuelles. D'accord. On interroge le bonhomme, aucune critique de ses actes, l'adhésion à son délire érotomaniaque (c'est quand on croit, à tort, être aimé de quelqu'un) est complète. Faut essayer de le sortir de là quand même, d'autant plus qu'il a un boulot, une femme et deux enfants. On regarde les traitements, et là on voit que c'est déjà la 3ème fois qu'il a rencard avec une pin-up célèbre à l'autre bout de la France depuis qu'on a changé de neuroleptique. C'est donc que celui qu'il avait avant marchait beaucoup mieux...Mais pourquoi diable est ce qu'on avait changé ? Ah voilà, le problème c'est que celui d'avant avait un gros, un très gros effet secondaire : Le patient ne bandait plus. Et ça, pour un mec qui a des délires érotomaniaques, c'est juste pas acceptable. C'est le musicien qui devient sourd ou le sommelier qui a plus droit de boire de l'alcool. Impossible. Du coup, il ne prenait plus son traitement. Je sens qu'on est parti pour une hospitalisation de plusieurs semaines, où il faudra changer encore de neuroleptique, et ça c'est assez long si on veut faire le switch dans les règles de l'art. Et puis bien sûr on aimerait arriver à réduire le délire jusqu'à obtenir du patient qu'il puisse critiquer son geste, et que, peut être, je dis bien peut être, il reconnaisse qu'il n'avait pas vraiment été en communication avec Nolwenn Leroy, mais que tout ça c'était un peu dans sa tête.

Quelques jours plus tard, on le revoit en entretien. On apprend qu'en fait, il communiquait avec Nolwenn Leroy par des vidéos sur Youtube, et que pendant qu'elle était interviewée par des journalistes, elle envoyait des messages codés au patient, avec le lieu et l'heure du rendez-vous secret... L'adhésion au délire se fissure un peu lorsque le patient reconnait que ce voyage était "mal préparé", et qu'il avait "un peu interprété rapidement ce qu'elle disait aux journalistes" et que peut être "ça ne lui était pas adressé, en fin de compte". Le visage se glace parfois, le regard devient triste. C'est pas sympa, vous me direz, de lui faire réaliser qu'il s’est pris un méga râteau. Ça va peut être sauver (jusqu'à la prochaine fois) son mariage et économiser un peu de sous au ménage en frais de taxi, mais ça reste pas sympa. Dur à avaler, même. Quelle déception. Eh ben voilà que notre patient passe de l’exaltation amoureuse au dépit qui confine à la dépression. Faut qu'on y aille cool, sinon on va au devant d'autres problèmes : les idées noires, la pulsion suicidaire. Bon, ça a l'air de lui passer. Il annonce finalement qu'il s’est réconcilié avec sa femme, avec qui aux dernières nouvelles il était en instance de divorce, et il demande une permission le weekend pour aller voir ses enfants. Réconcilié, ah bon ? "Oui, elle m'aime, notre amour est au delà de tout". Hum, hum. Le délire érotomaniaque aurait il changé d'objet ? Bon, il faudra discuter avec sa femme. En attendant on lui file sa permission, il est calme, présentable pour ses mouflets, qui ont certainement besoin de voir leur papa disparu depuis maintenant 3 semaines...

Je m'offre un moment de détente, et visionne quelques vidéos de Nolwenn Leroy sur internet. J'ai les mots d'un de mes potes qui viennent tout seul dans ma tête : "T'as bon goût mon cochon !!"


jeudi 13 novembre 2014

Ping-Pong

On m'a toujours dit que le ping-pong, c'était un sport d'intello. Chez les médecins aussi, on joue au ping-pong.... avec les patients ! Oui je sais c'est choquant, mais c'est très ludique vous allez voir.

Il y a quelques jours on a reçu au service un petit monsieur âgé qui venait tout droit des USIC (ce sont les soins d'urgence qui concernent le coeur, en gros). Il avait fait un infarctus qui avait été traité par la pose de stents  (sortes de petits ressorts qui sont placés dans une artère nourricière du coeur pour restaurer le passage du sang dedans). Malheureusement, aux USIC, ce petit monsieur âgé avait fait ce qu'on appelle un syndrome confusionnel. Il ne savait plus qui il était, où il était, ce qu'il faisait là. Ça arrive plutôt quand on a de l'âge, quand on a été hospitalisé, quand on a pris plein de nouveaux médicaments, quand on est déshydraté... Ça donne l'air d'être un peu fou. Ça ressemble à de la psychiatrie, mais ça n'en est pas, ce n'est qu'un trouble passager dû à des variations d'eau et d'ions dans le corps. Ça se traite avec du temps, du repos, des perfusions et l'arrêt des médicaments incriminés. Sauf que les cardiologues ils se sont dit bon, on va en profiter pour le refiler aux psychiatres. C'est toujours un problème les personnes âgées : Tout le monde est d'accord pour les soigner mais après, on est très embêté parce qu'elles mettent du temps à reprendre du poil de la bête, et on a besoin du lit pour le prochain...On a donc reçu le petit monsieur âgé, avec son problème pas-psychiatrique, on l'a soigné comme les cardiologues auraient du le faire, et au bout de quelques jours il allait beaucoup mieux. Puis vint le délicat moment du smash revers (ping-pong toujours, vous suivez hein ?) et de renvoyer le patient aux cardiologues. Alors là, autant vous le dire tout de suite, en médecine, c'est ce qu'il y a de plus difficile ! Devinez à qui on a demandé d'appeler le cardiologue ? Bon c'était facile : Votre serviteur. Tic, tic, tic, tic, tic, tûûûût, Allo ? Commence alors une discussion de marchand de tapis sur le grand souk de Marrakech. Le cardiologue, raquette en main, est au service : "A mon avis il relève maintenant plutôt d'un service de gériatrie", je tente un smash : "Certes, je ne contredis pas votre évaluation, et vous laisse toute latitude d'orienter votre patient où bon vous semble"..."Oui mais là, il est chez vous, vous pourriez vous en charger"..."Monsieur, nous n'avons pas vocation, en psychiatrie, à assurer les soins de suite des USIC"...Comme je prenais l'avantage, il me sort sa botte secrète : Un coupé amorti qui me laisse pantois. "Je vous arrête tout de suite, on vient de me dire que le service était complet, nous n'avons plus de lit, nous discutons pour rien." Et voilà, je regarde la balle rebondir de mon côté du filet puis s'immobiliser. J'ai perdu.

Dur, dur, le ping-pong !


samedi 8 novembre 2014

Les survivants

Quand on est petit externe en médecine (de la 3ème à la 6ème année d'étude) on pense tout le temps à deux choses : Prendre du galon en étant interne, c’est à dire enfin 'faire' et non plus 'regarder faire'. Et puis on pense aussi à sa première garde. Ah la première garde, tout seul dans son slip. Test ultime : Savoir si on va arriver à être indépendant dans sa prise en charge, si on va 'pouvoir gérer'... Pour moi c'est venu plus vite que je ne le pensais, c'était hier, après à peine 4 jours de psychiatrie. J'étais bien sûr assez angoissé, c'est un centre hospitalier énorme, 13 bâtiments, plus de 500 lits, et rien que se situer était déjà un sacré pari au bout de quelques jours seulement. En bon obsessionnel, j'ai donc photocopié un plan, ai mis un code couleur, les trajets en rose, les pavillons en jaune, et tout ça sous pochette plastique si jamais il se mettait à pleuvoir ! J'avais un passe pour entrer dans les pavillons, une trousse d'urgence, et... le téléphone de garde ! Je l'ai inspecté 20 fois, je me suis même appelé avec mon smartphone pour vérifier que j'entendais bien la sonnerie. C'est marrant comme le stress ça peut faire faire n'importe quoi aux gens. La nuit se passe sans problème, quelques interventions, je m'en sors plutôt bien pour le moment. On m'appelle pour un patient en fin de vie qui a mal, je majore le traitement antalgique. L'infirmière s'excuse de me faire venir en pleine nuit "pour si peu", je lui répond bien sûr qu'il n'y a pas de souci, que je me sens très concerné par les prises en charge palliatives qui sont du soin à part entière, et que ça vaut pour toutes les prochaines fois où je serai en garde.

Puis on m'appelle pour une admission, un petit papy de 91 ans quand même, étiqueté bipolaire (vous savez les gens qui ont l'humeur changeante, ils passent de très déprimés à complètement euphoriques). Son médecin traitant, appelé dans la nuit,  l'envoie en hospitalisation parce qu'il le trouve déprimé, probablement déshydraté et se laissant aller. Les infirmiers me disent c'est bon on lui a déjà fait boire un litre et il a une perfusion de glucosé. Ouais. Sauf qu'en lisant les résultats de la biologie, et en examinant le patient, il est pas du tout déshydraté. A le remplir comme ça, on va lui augmenter son compartiment sanguin, et avec un cœur de 91 ans et des valves qui fuient, ça va pas le faire du tout... On va le mettre en insuffisance cardiaque, et ça va finir en œdème aigu du poumon cette histoire. On lui prend sa tension. 158/90. 4 points de plus que chez le médecin il y a 2 heures. Arrêtez tout, virez la perf. Surveillance tensionnelle toutes les heures. Pfiuuu. Bon. Calme, calme, calme. Ça sert un petit stage de réanimation il y a quelques mois, on oublie plus les trucs de base. Vient le temps de l'entretien. On discute. Il vit seul, il a perdu sa femme, il a perdu ses 2 enfants, il a perdu tous ses amis. Il lui reste une nièce, de 77 ans. "Oh elle est âgée vous savez". Moui, enfin c'est une petite jeunette comparé à lui ! C'est le problème du très grand âge, on est le survivant de sa cohorte, le sommet de la pyramide. Il y a la solitude, et le poids des drames successifs de toutes ces disparitions qui se sont accumulées. "Vous arrivez à prendre plaisir dans les choses de la vie ? Vous mangez bien ? Vous vous promenez ? Vous avez des visites ?". Oui, il aime encore bien manger, regarder passer les saisons. Il arrive à faire seul sa toilette. On lui apporte les repas. Moi je ne le trouve pas déprimé. Un peu las, peut être, bien sûr. Bon, il est chez nous, il est 23h, on ne va pas le renvoyer hein. Je lui explique qu'on va le garder quelques temps pour qu'il se retape un peu chez nous. Mais pas longtemps, parce que moi je trouve qu'il va plutôt pas mal du tout. Il est d'accord. Je retourne dans ma chambre de garde, je ne serai plus appelé de la nuit. Une garde assez tranquille pour ma première fois, je remercie ma bonne étoile.

Le matin, je me lève, il est temps de passer le téléphone à mon collègue qui prend la suite. Ça y est, c'est passé, et je n'ai tué personne. Je me remémore mon petit papy de 91 ans, et je me dis que moi aussi, je suis un survivant !


lundi 3 novembre 2014

The Walking Dead

Day one. Premier jour, premiers entretiens avec des patients. Un jeune homme de 18 ans, fumeur de cannabis, hospitalisé ce weekend parce que "ça n'allait pas du tout". Et effectivement, ça ne va pas, mais alors pas bien du tout. Il voit des panneaux lumineux partout, des feux tricolores géants,  une signalisation de cauchemar qui le poursuit et qui lui indique 'ce qu'il faut faire'. Comme si ce n'était pas suffisant, il entend des voix qui lui suggèrent de suivre ces panneaux, et que s' il ne le fait pas, il ne sera pas 'en sécurité'... Il a du mal à raconter tout ça, les mots sortent péniblement, les phrases sont hésitantes.  Il y a beaucoup de monde dans sa tête et il peine à se concentrer pour répondre aux questions. Un moment, il dit "Je ne comprends pas ce qui m'arrive, je ne sais plus ce qui est vrai et ce qui est faux". Son visage exprime un effroi profond, ses yeux sont exorbités, son regard est perdu, de grosses larmes coulent sur ses joues. 18 ans. Voilà. C'est ça une crise de folie. Chez les psychiatres, on appelle ça une bouffée délirante aiguë. Et ca a l'air pas cool du tout à vivre. Ma co-interne majore le traitement neuroleptique. On le revoit l'après-midi, il a du mal à tenir la tête droite et les yeux ouverts, et il a la bouche béante comme un four. Cette fois il répond aux questions de façon simple et cohérente, sur un ton monocorde, un peu comme un robot qui n'aurait pas d'émotions. "Ah oui le traitement, ça tasse !" me dit ma co-interne. Çà pour être tassé, il est tassé. On lui a même bien appuyé sur le citron ! On se dit que c'est toujours mieux que l'état d'extrême angoisse dans lequel on l'a vu ce matin. Je me rappelle ses mots quand on lui a demandé pourquoi il ne portait pas le même nom de famille que son père..."Je suis dans une famille décomposée" (...) "Vous voulez dire recomposée ..??"

Et voilà, la famille décomposée a un nouveau zombie. Espérons qu'on pourra prochainement réduire les traitements et le ramener du côté des Hommes.


samedi 1 novembre 2014

Ici, on écope !

Alors voilà. J'ai choisi il y a quelques semaines où j'allais faire mon stage. C'est un grand hôpital psychiatrique, avec des pavillons d'hospitalisation de secteur, de l'addictologie, de la psycho-gériatrie, et même une UMD (Unité pour Malades Difficiles). L'UMD c'est là où on met, entre autres, les agités qui ont fait des cartons (familiaux ou pas) au fusil de chasse, et que la justice a déclaré irresponsables. Que du beau monde. Au total pour cette structure psychiatrique : plus de 500 lits...Cette semaine, bien que mon stage ne commence effectivement que le lundi 3 novembre, je suis allé faire une journée pour prendre la température, tester les temps de trajet (je suis à une heure de train) et me présenter au boss, dont je savais qu'il partait pour 3 semaines de vacances. Je voulais le croiser avant pour me présenter. Après mon arrivée on me présente à l'équipe soignante, des infirmières avec le sourire qui me font un bon accueil. Ma co-interne est une fille qui a déjà fait un semestre dans le service, elle connait donc bien la maison et me guidera les premiers temps.

Puis on me fait savoir que le boss veut me voir. Je passe entre 2 entretiens avec des patients, et me voilà face à un type la cinquantaine, de présentation très simple, jeans baskets, pas de blouse. Après quelques politesses et prise de renseignements sur les parcours, il me présente mon stage de la façon suivante : " Alors ici, je te préviens, on écope. Beaucoup de patients, manque de moyens humains. On fait ce qu'on peut. Tu feras au mieux, ne te bile pas trop sinon tu ne dormiras plus. Je vais t'envoyer écoper au pavillon des chroniques, comme ça tu commenceras en douceur, ce seront des patients connus, tu auras un historique des précédentes hospitalisations, et les traitements en cours. Pour ce qui est de ta formation, je n'ai pas de temps, alors ce sera en express au self ou à la cafet. Mais bon si tu as des questions urgentes, je suis toujours disponible. "

D'accord. Le décor est planté...

Eh ben en avant, haut les coeurs, écopons !