Citation

"Ca y est, c'est choisi : Ce sera Psychiatrie !"
Je commence ce blog pour raconter mes aventures hospitalières
pendant les quatre années de ce parcours d'interne
jusqu'au diplôme de médecin psychiatre...
























dimanche 15 mars 2015

Pauv' Type ou Sale Type ?

Bon...Y a eu "les événements de Charlie Hebdo" qui ont paralysé tout le monde au service... Et puis je suis parti 10 jours en vacances dans "les îles"... Et puis il fallait que je travaille à mes 2 mémoires à rendre en juin... Et puis quelques copains/copines sympas "Ben alors t'écris plus ??".... Et puis, et puis.....
Bref ! Je reprends donc mon blog avec une histoire que je ne pouvais pas garder pour moi, parce qu'elle m'a appris beaucoup : L'hospitalisation de Mr N.
Mr N. est arrivé dans mon service pendant l'après midi, en hospitalisation sous contrainte. Il avait été transféré des urgences pour une IMV (Intoxication Médicamenteuse Volontaire, traduisez par tentative de suicide aux médicaments...) parce qu'il venait de se faire quitter par sa compagne. Il avait pris quelques cochonneries sans grande gravité, du Temesta je crois. Bref, il était un peu somnolent, mais pendant l'entretien, c'était une autre paire de manches, comme vous allez le voir !
Je le reçois donc dans mon bureau. Comme d'habitude, je me présente, mon nom et ma qualité, je lui serre la pince, l'invite à s'asseoir, et lui demande comment il a atterri ici. Le ton est d'emblée véhément, et il m'envoie rapidement dans la figure LE grand problème de la psychiatrie dans les tentatives de suicide : "C'est mon problème si je veux me flinguer, vous n'avez pas à vous en mêler, et d'ailleurs je veux sortir immédiatement, vous n'avez pas le droit de me retenir". Eh bien si, on a le droit. Je ne sais pas si c'est très moral, mais la loi nous le permet, et la société nous y invite. Je ne me laisse pas démonter. "Mr N. vous avez le droit de vous suicider, malheureusement ou heureusement pour vous ça je ne le sais pas, vous vous êtes raté. A partir du moment où on vous trouve, la société a décidé que ça la regardait, et qu'elle avait le droit et le devoir de vous empêcher de recommencer aussitôt. Cette société confie au psychiatre le mandat de vous mettre à l'abri de vous même pendant quelques temps, afin de voir si quelque chose est possible pour changer la donne qui vous a mené à cet acte. Rassurez vous, si vous voulez vraiment vous suicider, rien ni personne ne pourra vous en empêcher à moyen terme, et vous pourrez le faire dès que vous serez sorti d'ici, dans quelques jours probablement. En attendant nous allons discuter un peu, si vous le voulez bien". Pfiuu, il se calme, se rassoit. Je vois que j'ai marqué un point. C'était un peu ampoulé dans le style, mais mon argumentaire se tenait à peu près. Nous discutons, donc. C'est compliqué. Le patient est dans une situation de grande précarité. Il a la petite cinquantaine. Issu d'une fratrie de 13 enfants, il n'a quasiment plus de rapports avec ses frères et sœurs en dehors de l'un d'entre eux. Il a perdu son père l'année dernière et selon ses dires "cela l'a beaucoup affecté". J'apprend aussi qu'il vient de se faire quitter par une femme, chez qui il vivait depuis 6 mois, et qu'avant cela il avait habité 3 ans dans sa voiture, vivant des petits boulots. Donc en fait, cette rupture signifie aussi qu'il va devoir quitter l'appartement de sa compagne et dormir à nouveau dans sa voiture...
Même prénom que mon père, même amour des chiens que moi. Un petit côté rebelle, anti-social que je partage aussi. Je commence à trouver ce type plutôt sympathique. En jargon médico-psychanalytique ça s'appelle faire un contre-transfert positif. Ça a l'air anodin mais mine de rien il faut faire gaffe, parce que ça peut modifier notre prise en charge, et parfois nous faire faire des conneries.
Bon, je lui explique le menu, il reste ici quelques jours, et dans 72 heures un autre psychiatre fera un nouveau certificat pour maintenir la contrainte ou la lever. Je lui dis que maintenant qu'il est là, on va essayer d'en faire quelques chose de cette hospitalisation imposée, et que je le reverrai tous les jours en entretien. On discute le traitement ensemble, comme 2 commerçants qui parlent tapis, bon, il est tendu, angoissé, un valium 10 sur la journée en 1/4, 1/4, 1/2, et un petit bidule pour dormir à 22h en si besoin. On va pas l'assommer hein, juste le détendre un peu parce qu'être dans une chambre de 8m2 sans l'avoir choisi, ça reste extrêmement violent à mon sens.
Les jours suivants on discute. Il se laisse un peu plus aller, raconte des trucs. Comme on me la fait pas non plus, et que je le trouve un peu 'séducteur' dans son attitude vis à vis de moi (comportement qui précède parfois la manipulation...), je commence à assembler les pièces du puzzle de sa biographie. Une pièce par ci, une pièce par là. Eh ben y a un gros trou. 7 ans, milieu trentaine. Je me garde bien de poser la question de but en blanc. Il revient sur sa relation avec sa compagne. Elle a perdu son mari l'année dernière. Il l'a connue il y a 6 mois "au bord d'un lac". Comment ? C'est flou. "j'avais lu dans le journal que son mari était décédé". Ah bon, curieux. Au fur et à mesure je commence à piger qu'il savait des choses sur elle avant de la rencontrer. Et puis aussi qu'il a cherché à la rencontrer, en sachant qu'elle fréquentait des amis près de ce lac. Ce comportement commence à me faire douter de la sympathie du bonhomme et de sa sincérité. J'en parle à mon PH (Praticien Hospitalier, un médecin du service qui me chapeaute) et lui, toujours très clairvoyant, à la fin de la présentation du cas me pose la bonne question : "Alors à ton avis, pauvre type, ou sale type ?". 
Et là tout s’enchaîne. Coup de fil d'un contrôleur judiciaire, oui Mr N. est bien chez nous. J'apprend qu'il a fait 7 ans de taule pour viol, qu'il a d'autres condamnations pour agression sexuelle, attentat à la pudeur. Il est inscrit au fichier des délinquants sexuels. Je le revois en entretien. Je lui dis juste, avec un air le plus neutre possible, que sa contrôleuse judiciaire a appelé. Il comprend que je sais tout. Il me lance un regard d'une noirceur qui me fait froid dans le dos. J'ai pendant quelques secondes l'impression que j'ai dérangé un grand fauve, et je ne sais pas du tout comment il va réagir. C'est ça la nature sauvage, imprévisible et cruelle. Il se recroqueville sur son fauteuil et ne me quitte plus des yeux. On se croirait en plein documentaire animalier sur la 3 le dimanche aprem. Le tigre du Bengale. J'ai un autre homme en face de moi, je ne le reconnais plus. Il se tait. il ne veut plus parler, malgré mes encouragements à la faire. Dans la journée, un psychiatre du service lève l'hospitalisation sous contrainte, Mr N. ne présentant plus de symptomatologie d'une crise suicidaire. Et il sort dans la foulée. 
Quelques jours plus tard, les gendarmes m'apprennent que l'ex-compagne de Mr N. est en réanimation avec "du sang dans le cerveau (un hématome intra cérébral, gravissime) et des blessures très importantes au visage". On ne sait pas si elle va s'en sortir. Mr N. a été arrêté et est au centre de l'enquête. Probablement 'sale type' donc. Et moi qui le trouvais si sympathique au départ ! Je me suis fait avoir comme un bleu. Je crois bien que je suis tombé sur mon premier "pervers", comme disent les psychanalystes...


samedi 14 mars 2015

Du fauteuil au lit...

En ce moment, on est en plein débat sur la fin de vie à l'assemblée nationale. Et, justement, en parallèle, j'ai une de mes patientes qui est dans ce cas là dans mon service. Ça fait bien gamberger tout ça, et permet de voir combien chaque situation est unique, et combien les députés risquent de se casser les dents pour essayer de légiférer la dessus.

Mme B. a 80 ans. C'est la première patiente qu'on m'a confiée quand je suis arrivé il y a quelques mois. C'est une 'chronique'. On ne sait plus très bien pourquoi elle est là, cela fait environ un an. Probablement que, comme d'habitude, la maison de retraite n'arrivait plus à gérer des troubles du comportement à type d'agressivité, vu que Mme B. a eu un diagnostic de démence il  y a quelques années. Quand j'ai repris le dossier, j'ai fait mon maximum. La patiente déclinait, on m'expliquait qu'elle ne marchait plus depuis quelques semaines, qu'elle avait mal quand on la mobilisait. Bon, on fait les choses dans l'ordre, déjà on réajuste le traitement cardio parce que des jambes comme des poteaux, remplies de flotte, ça n'aide pas à marcher : Majoration du lasilix (ça fait pisser...), prescription de bas de contention, surélévation des jambes pour dormir. Une semaine plus tard les jambes ont dégonflé. Prescription de kiné. La 1ère séance se passe, et la ça coince : Mme B. a très mal. J'essaye de gérer, je fais la tournée des anti-douleurs, et je m'en sors pas, elle a toujours aussi mal. Impossible de faire de la rééducation à la marche si la patiente a si mal, elle ne sera pas coopérante. Au final je demande une consultation au spécialiste de la douleur, qui me fait un protocole archi complexe qui ne marche pas non plus, puis en consultation en neurologie où le médecin me donne finalement la solution : la plainte douloureuse a une grosse part liée à sa démence, et ça, aucun antalgique n'en viendra à bout... Je commence à me résigner petit à petit, Mme B. ne remarchera plus, et on sait bien comment tout ça va finir. Quelques mois passent, je la vois deux fois par semaine pour des entretiens centrés sur ses douleurs imaginaires, ou la qualité de son sommeil. Quand l'infirmière la sort à reculons de mon bureau, en tirant le fauteuil roulant, c'est toujours le même rituel "Je vous aime Docteur !" - "Mais je vous aime aussi Mme B. !". Tout le monde rigole, même à la trentième fois. Ça fait du bien.
Et puis arrive ce qu'on redoute, elle décline d'un coup, se rétracte dans son lit, ne veut plus qu'on la mette au fauteuil parce que "ça fait mal". Un beau jour on me signale qu'elle fait une fièvre, je l'examine, je l'ausculte, houla il y a du monde dans les poumons. Antibiotiques. Ça ne marche pas. Prélèvement, antibiogramme. Re-antibiotiques, plus forts ceux la. Ça ne marche pas beaucoup mieux. Mme B. prend un teint cireux, grisâtre. Je fais un énième bilan sanguin : la fonction rénale a pris un sacré coup. l'organisme de Mme B. déjà très affaibli n'a pas supporté les antibiotiques. Je l'envoie aux urgences, c'est confirmé : les reins sont fusillés. Discussion éthique, on dialyse, on dialyse pas. Bon, 80 ans, une démence, rétractée dans son lit avec des escarres depuis des semaines. Le fils joint au téléphone n'a pas d'avis, ne veut pas qu'on s'acharne, ni qu'on l'ennuie avec tout ça d'ailleurs. Allez savoir ce qu'il s'est passé dans cette famille encore...La décision tombe : Pas d'acharnement thérapeutique, on ne dialyse pas. 
Mme B. revient au service pour y mourir. Première fois que je vais avoir à "gérer" ça. A ce moment précis je comprend quelques chose d'essentiel de mon métier : Je peux m'occuper de l'agonie de Mme B. parce que c'est ma patiente depuis un moment, que je la connais bien. Je ne voudrais ni ne pourrais le faire pour quelqu'un d'autre. Et c'est une continuation de ma prise en charge, je ne me défile pas au moment où ça se termine, je reste son médecin jusqu'au bout.
Je file sur internet lire les dernières recommandations HAS (Haute Autorité de Santé) concernant la prise en charge palliative. Arrêt de tous les traitements non vitaux. Morphine. Arrêt de l'alimentation et de l'hydratation par voie veineuse. Mme B. est revenue chez nous déjà presque inconsciente, comme ses reins ne fonctionnent plus depuis un moment, son sang est comme empoisonné, il n'est plus filtré ni nettoyé. Après, le "jeu" pour tout le monde, c'est que ça ne dure pas trop longtemps, et surtout lui offrir la bonne mort et pas la mauvaise. La hantise du médecin c'est l'OAP, l’œdème aigu du poumon. Le patient est bien hydraté avec ses perfusions, mais le cœur fatigue, il n'arrive plus à pomper suffisamment, il y a une fuite de liquide en amont, et tout part dans le poumon, qui se remplit de flotte. Le patient meurt noyé, en étouffant pendant plusieurs heures, parfois des jours...Ça c'est la mauvaise mort, celle qui arrive fréquemment si on ne fait rien. Après il y a la bonne mort, celle qu'on souhaite pour notre patiente. On réduit voire supprime les apports en eau. Ça semble barbare dit comme ça, mais les effets sont très bénéfiques en termes de confort : le risque d'OAP diminue drastiquement, et cela diminue aussi les sécrétions dans les poumons... Le patient respire librement. Comme les reins ne fonctionnent plus, il y a une accumulation de potassium dans l'organisme, ce qui a pour effet de diminuer l'excitabilité des cellules cardiaques. Au final, le cœur finit par avoir quelques hoquets, puis s'arrête. Net, propre, sans bavure, et indolore. Comparé aux 8 heures d'agonie en suffoquant, on a vite choisi ! Si les choses tournent mal, la loi autorise à endormir profondément ma patiente pour une "sédation en phase terminale" avec un produit utilisé en anesthésie générale qu'on appelle le Midazolam. J'ai relu comment induire et maintenir cette sédation, et nous en avons discuté avec l’équipe infirmière et les autres médecins du service. Avec les prochaines lois, je crois que les patients eux-même pourront demander cette sédation, et ne pas attendre que le médecin le décide.
Au même moment sort un papier dans Le Monde où des responsables religieux, pour une fois 'unis', se mêlent de ces problématiques et tentent une ingérence dans le débat sur la fin de vie. Je lis, je suis furieux. Un peu chauffé à blanc par la prise en charge de Mme B. je ne peux résister à réagir, je colle l'article du Monde sur mon mur Facebook et propose un amendement pour que "ces gens là" (et rien qu'eux !), ne puissent bénéficier de ces nouvelles mesures de confort puisque c'est leur souhait !!
A l'heure ou j'écris ces lignes, Mme B. "dort" paisiblement avec sa morphine. On vient la voir régulièrement pour lui humidifier la bouche avec un aérosol. On lui parle même si elle ne réagit plus. On ausculte ses poumons matin et soir à la recherche de bruits crépitants, premier signe de l'OAP qu'on veut éviter. Elle fait des pauses respiratoires de plus en plus longues et fréquentes.
En l'état actuel des connaissances, on pense qu'elle ne souffre pas, qu'elle est apaisée.

Et on attend que son cœur s'arrête.